Mieux vaut mettre la charrue avant les boeufs que de faire du surplace ? Dans ses avertissements adressés aux abonnés à Internet, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) affirme depuis le mois de septembre que « les comportements volontaires de consultation (d’œuvres piratées) constituent des délits de contrefaçon sanctionnés par les tribunaux« . Or depuis mercredi, les Labs Hadopi s’interrogent pour savoir si cette affirmation n’est pas mensongère, avec l’ouverture d’une réflexion sur l’encadrement juridique du streaming.
Lorsque nous avions contesté l’affirmation faite par l’Hadopi, la Commission de protection des droits (CPD) n’avait pas nié qu’elle faisait une interprétation au mieux très audacieuse de la loi. « Les recommandations ont été prioritairement rédigées dans le souci d’être compréhensibles par ceux qui les recevront« , nous expliquait la CPD, qui préférait un « langage courant facilement accessible » à la rigueur juridique qui devrait pourtant être la sienne.
En pointant les « comportements volontaires de consultation », l’Hadopi veut faire croire aux internautes qu’ils peuvent recevoir des avertissements s’ils vont sur des sites de streaming illégaux (pardon, impurs). Mais c’est techniquement impossible, puisque l’Hadopi ne peut avoir connaissance que des adresses IP utilisées sur les réseaux P2P, et juridiquement improbable. Actuellement les textes se limitent au P2P, et la question de l’illégalité du streaming, pour la personne qui se contente de regarder un film ou une série TV sans la diffuser lui-même, reste fortement débattue.
C’est justement sur ce débat que planche le lab « propriété intellectuelle et internet » de l’Hadopi. Il constate qu’au moins deux visions s’opposent, entre ceux qui estiment que le fait de bénéficier du streaming laisse place au « grief de contrefaçon ou de recel« . Et ceux qui estiment que le streaming « relève du droit de représentation« , et qu’il ne concerne donc pas celui qui reçoit la transmission, mais uniquement celui qui l’émet. « Que la transmission numérique des œuvres s’effectue à la demande des « consommateurs » ne change rien au problème« , écrivait le professeur de droit André Lucas dans son Traité de la propriété littéraire et artistique, en 2006.
« La régulation du streaming doit-elle incomber à l’Hadopi ? »
Les labs interrogent ainsi leurs membres sur la nature juridique du streaming, et son encadrement. « L’internaute qui accède à une œuvre en streaming peut-il bénéficier d’éventuelles exceptions (en particulier de copie privée, ndlr) lorsque la mise en ligne n’a pas été autorisée par l’auteur ? Encourt-il/devrait-il encourir des sanctions au titre du recel de contrefaçon ? Encourt-il/devrait-il encourir une sanction pénale ? De même, les autres acteurs de la chaîne du streaming (annuaires, fournisseurs d’accès, hébergeurs, internaute ayant mis en ligne le contenu…) encourent-ils (ou devraient-ils encourir) une responsabilité en proposant sans autorisation des contenus protégés par le droit d’auteur ? (contrefaçon, responsabilité de droit commun, …)« .
Finalement, si le streaming est considéré illicite et doit être sanctionné, « cette régulation devrait-elle incomber à l’Hadopi et sous quelle forme« , se demande le lab, qui ouvre également la porte à des propositions de réformes législatives.
Ce travail, qui aurait dû précéder la formulation des avertissements, est intéressant. Il se résume cependant selon nous à une seule réponse, sous forme de question : pourquoi sanctionner l’internaute qui se rend sur des sites de streaming alors qu’il n’a, sauf à rendre le label PUR obligatoire, absolument aucun moyen de savoir que l’œuvre qui lui est proposée est diffusée illégalement ? Peu importe le droit si son interprétation doit aboutir, dans les faits, à une injustice.
L’Hadopi, consciente du problème, a déjà décidé depuis longtemps d’attaquer la question du streaming sous l’angle du filtrage et du blocage ordonné aux FAI. Elle a programmé une observation des plateformes de streaming, grâce à des sondes posées chez les opérateurs, dans le but de fournir aux ayants droit les indices suffisants pour justifier en justice une demande de blocage des principales plateformes (mise à jour : l’Hadopi nous indique qu’elle n’a rien programmé de ce genre, et ne fait pour le moment que s’informer). Il ne sera donc plus question de sanctionner l’internaute, mais de l’empêcher de commettre une infraction, ou de profiter d’une infraction réalisée par un tiers. Une stratégie cependant très délicate, sur laquelle l’Hadopi avance très prudemment.
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