Il y a une délicatesse rare dans le discours d’Edgar Bronfman (.pdf). Une justesse et une finesse dans l’analyse que l’on devrait retrouver tôt ou tard chez ses homologues français, qu’il s’agisse du porte drapeau Pascal Nègre (président d’Universal Music France), de Jean-François Cecillion (EMI), de Thierry Chassagne (Warner), ou de Christophe Lameignère (Sony BMG). Aux Etats-Unis, c’est la décision Grokster qui a eu le mérite de délier les langues. Elle n’a peut-être qu’un impact juridique très limité, mais elle a eu le mérite de dresser une limite entre l’acceptable (la technologie) et l’inacceptable (dresser explicitement un modèle économique sur le piratage). Du coup, industrie du disque et industrie technologique arrivent à discuter autour de ce repère commun qu’a décrit la Cour Suprême. C’est ce qu’il manque en France, où les maisons de disques voient encore l’Internet et ses internautes comme de vils malfrats qu’il faut éduquer et placer dans le droit chemin.
Or c’est justement en saluant la décision Grokster que Bronfman reconnaissait devant son auditoire que « les nouvelles technologies stimulent toujours les industries de contenus« .
Une page de plus dans le livre de l’évolution du disque
« Laissez-moi vous lire quelque chose« , s’est enthouasiasmé Bronfman, avant de débuter sa lecture : « « Les pirates dans cette industrie ne volent pas seulement des idées, ils volent aussi des disques entier. Dans aucune autre industrie est-il aussi difficile de récolter les fruits reçus« . On dirait un des derniers communiqués de presse de la RIAA, reconnaît le patron de Warner. Mais non, c’est tiré de la revue Phonoscope parue en… 1898, à une époque où le pantographe permettait de dupliquer les cylindres sur lesquels venaient se fixer les premiers enregistrements musicaux.
De tous temps, la musique a influencé la technologie, et réciproquement. Et de tout temps, la technologie a effrayé les industries culturelles avant que les deux ne finissent par s’embrasser. Et il n’est pas seulement question de piratage, mais aussi de création artistique. Egdar Bronfman rappelle par exemple que Stravinsky a composé sa « sérénade pour piano » en 1925 avec en tête les nouvelles contraintes liées au 78 tours. D’où quatre mouvements de moins de trois minutes chacun… Et ça n’est qu’avec l’avènement du 33 tours que les albums ont fait leur apparition.
Dès lors, l’industrie du disque et les artistes eux-mêmes doivent s’adapter à Internet. « Les enfants prennent l’Internet pour acquis, comme s’il avait toujours existé, et nous aussi nous avons tendance à faire la même chose avec la technologie de notre propre génération« , reconnaît le patron de Warner. Il est temps d’évoluer.
Un « e-label » sans albums
Un premier pas sera donc la création d’un label uniquement dédié à la musique en ligne, qui s’adressera à des artistes nouvellement signés. Aujourd’hui, les maisons de disques ne prennent plus réellement de risques sur les « jeunes talents », et ces derniers doivent faire leur preuve dès leur premier album. Un défi qui tient sur une dizaine de chansons qu’il faut au plus vite promouvoir et monétiser. Avec son « e-label », Warner abandonne le concept des albums nés avec le 33 tour au profit de « clusters », plus économiques. « Plutôt que de sortir un album tous les deux ans, le label sortira [plusieurs fois dans l’année] des clusters – trois chansons ou plus – d’un artiste« . Les coûts de production devraient donc baisser, et un artiste pourra savoir plus rapidement s’il rencontre son public.
L’intérêt est d’autant plus grand pour l’artiste que contrairement aux contrats de production classiques, ici tous garderaient la propriété des enregistrements et les droits d’auteurs attachés. Un signe fort d’évolution, apparemment inspiré des Creative Commons de Lawrence Lessig. Ce dernier, indique Bronfman, a « ouvert le débat du droit d’auteur à un niveau d’examen en profondeur de la façon dont la flexibilité et l’innovation dans ce secteur crucial peuvent être bénéfiques pour chacun« .
Même le modèle économique basé sur les DRM pourrait être laissé de côté. Car même si l’on ne peut rêver à un abandon total des mesures techniques de la part des labels, enfin l’industrie du disque (de la galette de plastique) pourrait retrouver son âme d’industrie de service, de musique. « Notre succès absolu ne se fera pas en empêchant les gens d’obtenir ce qu’ils veulent, mais en le leur fournissant de façon nouvelle et stimulante« .
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