Faute de réussir à convertir massivement les internautes aux abonnements payants, Internet est régulièrement désigné comme la source de la crise que traverse la presse écrite. Mais lorsque l’on observe les flux de financement historiques des journaux papiers, on se rend compte que la presse a toujours été essentiellement gratuite pour les lecteurs. Le modèle économique doit être réinventé

Télérama a publié mardi un article sur le poids insoupçonné et impressionnant d’Air France dans le financement de la presse française. On y apprend que la compagnie aérienne est le plus gros client des éditeurs de journaux à qui elle commande des dizaines de milliers d’exemplaires chaque jour. « Air France pèse donc entre 15 et 20% des ventes de la presse quotidienne nationale« , explique le magazine.

Par ailleurs, les titres de presse perdent une partie de leurs recettes publicitaires. Comme le montrait INAGlobal, l’Equipe a perdu 17,63% de ses revenus entre juin 2010 et juin 2011, en chutant de la première à la quatrième place des quotidiens les plus lus de France. Et la crise est généralisée à l’ensemble des titres, ce qui renforce la dépendance de la presse papier à des entreprises comme Air France et plus globalement à la « vente par tiers ».

Une pratique répandue

En effet, la compagnie aérienne n’est pas la seule à commander des volumes gigantesques aux éditeurs. Les chaînes hôtelières, par exemple, proposent de nombreux titres en libre service à leurs clients. C’est notamment le cas de Groupe Accor, premier hôtelier mondial, qui achète des titres pour ses 1400 hôtels en France. Nombreuses sont, également, les entreprises abonnées qui laissent les journaux à disposition de leurs clients dans leurs salles d’attente, des journaux qui restent souvent fermés et finissent dans la pouvelle le soir sans avoir été lus.

Selon l’OJD, l’association pour le contrôle de la diffusion des médias, le Figaro, premier quotidien national français, distribue 323 885 exemplaires de son journal chaque jour. Près de 30% de son tirage est destiné à la vente par tiers.

Les annonces légales : juteuse obligation

Dans le chiffre d’affaire des journaux viennent également s’ajouter les annonces légales. Si certaines sont réalisées dans des publications spécialisées, comme le BALO (Bulletin des Annonces Légales Obligatoires), elles sont souvent publiées dans des journaux régionaux ou nationaux, dont la liste est pré-établie. Les entreprises doivent obligatoirement publier leur avis de constitution, leurs modifications de statuts, leurs changements de gérant ou de siège social, etc. Pour la publication d’une constitution, il faut, par exemple, compter entre 100 et 200 euros en fonction des titres. En 2010, 622 000 entreprises ont été créées en France.

Les fonds publics

Enfin, la France a mis en place un système d’aides publiques à la presse pour « favoriser un certain pluralisme du paysage médiatique« . Ces aides concernent aussi bien des tarifs postaux préférentiels pour l’acheminement des journaux, des abattements sur les cotisations sociales « dues par les agences ou entreprises de presse« , des aides à la presse française à l’étranger ou des aides à la presse en ligne, comme le SPEL. Numerama a déjà eu l’occasion de critiquer ces aides qui ne bénéficient, en grande partie, qu’aux poids lourds de la presse écrite. De même, Nicolas Voisin, fondateur d’OWNI.fr, avait également eu l’occasion de s’exprimer sur l’impact sur son équipe de la non-attribution de cette subvention que 22Mars, la maison mère du magazine en ligne, attendait.

« Les jeunes entreprises qui innovent comme 22Mars/OWNI doivent faire leurs preuves dans des délais bien plus courts. Le soutien des mécanismes publics peut s’avérer décisif dans ce contexte. Le Fonds SPEL est un de ces mécanismes, et je regrette que, dans ses règles actuelles, le SPEL soit mieux adapté à des entreprises de presse  » papier  » déjà bien établies qu’à des pure-players innovants« , écrit Nicolas Voisin.

Ces aides, qui prennent la forme de subventions ou d’avances remboursables, se sont pourtant élevées à 1055,9 millions d’euros pour la seule presse écrite (papier ou en ligne) en 2010. Ces chiffres ne prennent d’ailleurs pas en compte les niches fiscales dont bénéficient les journalistes et dont Slate.fr nous rappelait l’existence.

Le grand méchant loup numérique

Malgré ces aides et ces abonnements qui ne dépendent pas des lecteurs, la presse française continue de fustiger le numérique, et la gratuité qui en dépend souvent, comme des facteurs dominants dans la crise qu’elle traverse. Libération avait, ainsi, proposé une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet pour financer la presse papier. « Il s’agit de rectifier les flux d’argent actuels au profit des rédactions » expliquait Laurent Joffrin, alors directeur de la rédaction du quotidien.

Quatre syndicats ont également récemment listé une série de griefs à destination d’Apple et de son kiosque à journaux apparus avec la nouvelle version de son OS mobile. « Les conditions commerciales imposées par Apple sont aujourd’hui inacceptables. Elles fragilisent le modèle économique de la presse, et réduisent à terme les choix proposés aux internautes« . Le modèle économique auquel il est fait référence est-il ce mélange d’abonnements, d’aides et de publications légales dont nous parlons dans cet article ?

En définitive, la presse s’inquiète de la chute des ventes au numéro et à l’abonnement qui, à l’image de France Soir qui va stopper sa diffusion papier, entraine également une chute des recettes publicitaires. Si en 2009 (derniers chiffres que nous avons), certains titres ont perdu entre 10 et 30% de leurs recettes publicitaires, en partie à cause de cette diminution des ventes, la presse est finalement depuis longtemps gratuite ou presque pour ses lecteurs, et financée indirectement par les dispositifs que nous avons détaillés ici.

Internet n’est donc pas l’origine du problème mais, au contraire, un formidable moyen pour la presse d’innover et de trouver de nouvelles sources de revenus pour être moins dépendante de la vente par tiers qui, comme le souligne Telerama, entraîne également des problèmes d’indépendance éditoriale.

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