Vous êtes probablement déjà nombreux à avoir vu ce jeudi la photographie du cadavre présumé de Mouammar Kadhafi, diffusée par l’AFP avec l’agence Getty et proposée aux médias à la vente. Elle a très vite beaucoup circulé sur les réseaux sociaux et dans la presse en ligne, et pose une question de propriété des droits à laquelle il n’est pas si simple de répondre.
On se souvient que l’an dernier, l’AFP avait repris une photo issue d’un compte Facebook pour la revendre aux médias, et que l’agence française avait été condamnée pour avoir vendu des photos trouvées sur Twitter du tremblement de terre d’Haïti. Il est donc intéressant de voir comment, cette fois-ci, l’AFP a obtenu l’image et au nom de quelle propriété elle en vend les droits.
Interrogé par France24, le directeur du bureau de l’AFP à Paris, Dave Clark, a expliqué que « c‘est une photo prise d’une vidéo tournée par des combattants libyens au moment de sa capture« . L’image est attribuée au photographe professionnel Philippe Desmazes. Sur Twitter, le journaliste Loïc H. Rechi explique que « la photo de Kadhafi au plus mal est celle d’un photographe de l’AFP qui a photographié l’écran du téléphone portable d’un combattant du CNT« . On ne sait pas très bien s’il s’agit d’une interprétation ou d’une vraie information, mais c’est en tout cas ce qui semble se confirmer.
Or voilà qui est intéressant du point de vue du droit d’auteur. L’image première de la tête ensanglantée de Kadhafi appartient d’abord et avant tout au combattant qui l’a filmée, à condition que le droit libyen accorde un tel droit. En droit français, l’image serait probablement protégée, sauf à considérer qu’il s’agit d’une « œuvre d’art graphique », auquel cas l‘article L.122-5 9° du code de la propriété intellectuelle s’appliquerait. Il autorise en effet « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique (…) par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur« . La photo illustrant la mort de Mouammar Kadhafi, qui est un sujet d’information immédiate, sa reproduction serait autorisée.
En revanche, quid de la photo de la photo ? Considérons, ce qui n’est pas certain, que le droit d’auteur premier soit accordé au combattant qui a filmé l’ancien colonel, et que ce dernier a donné au journaliste de l’AFP le droit de reproduire l’image sur une photographie. Ou que la vidéo est « dans le domaine public », faute de protection en Libye. La photographie du film constitue-t-elle en soi une œuvre digne de protection par le droit d’auteur ?
L’article L112-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que le droit d’auteur protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination« . Ainsi, même s’il n’y a pas de « mérite » à photographier ce qu’un autre a filmé, la photographie peut être protégée. Cependant, la jurisprudence établit des critères pour définir ce qu’est une « œuvre de l’esprit » qui puisse être protégée. Le critère le plus important est celui de l’originalité. Il faut que la photographie porte « l’empreinte de la personnalité » de son auteur.
C’est là que le débat juridique se noue. Peut-on dire du photographe professionnel qui photographie l’écran de l’appareil photo d’un tiers, pour reproduire ce que ce tiers a capturé, fait montre d’originalité ?
Probablement oui. Du fait que la photographie montre l’écran de l’appareil du combattant, avec ses ajouts en surimpression (la date et l’heure, la durée de la vidéo, etc.), elle fait elle-même œuvre de témoignage sur l’attitude des combattants qui filment leur bourreau déchu. Ainsi la photographie qui fera le tour du monde va rapporter de généreux redevances à l’AFP/Getty Images, mais l’on doute que le combattant qui a filmé Kadhafi touche le moindre centime. Pour l’utiliser gratuitement, il faudra attendre que ce combattant diffuse éventuellement le film sur YouTube ou une autre plateforme pour qu’il soit, de fait (et non en droit) dans le domaine public.
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