La Loppsi va bientôt pouvoir agir contre les sites pédopornographiques. Le décret d’application de l’article 4 de la loi doit arriver avant la fin de l’année. Pas moins d’un millier de sites web sont dans le collimateur du gouvernement et seront bloqués d’ici janvier 2012. Sans aucun contrôle judiciaire.

Promulguée en mars au terme d’une longue gestation au parlement, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, plus connue sous l’acronyme Loppsi 2, va bientôt produire ses premiers effets en matière de lutte contre la pédopornographie sur Internet. Le décret d’application de l’article 4 de la loi doit être publié avant la fin de l’année. Un millier de sites sont d’ores et déjà dans le collimateur du gouvernement.

Selon une information du Figaro, les fournisseurs d’accès à Internet et les opérateurs de téléphonie mobile devront bloquer d’ici janvier 2012 une liste noire contenant un millier de domaines accusés d’héberger des contenus pédopornographiques. Ce blocage s’effectuera sur simple décision administrative. À aucun moment l’ordre judiciaire ne sera impliqué pour contrôler la proportionnalité du blocage.

Une obligation de résultat pour les FAI

Le Conseil constitutionnel lui-même n’avait pas estimé que le blocage des sites web sans contrôle judiciaire préalable était contraire à la Constitution. Dès lors, il n’y aura aucun filtre pour encadrer les demandes des pouvoirs publics en matière de filtrage, d’autant que les FAI et les opérateurs seront soumis à une obligation de résultat. L’administration veut que le blocage fonctionne sans délai, qu’importe les difficultés techniques.

En réalité, la police sait pertinemment qu’elle ne pourra pas empêcher tous les internautes d’accéder aux contenus pédopornographiques. « Nous savons déjà que cette initiative ne va pas tarir l’offre pédophile sur le Web car il existe différentes manières pour contourner les blocages et faire sauter les verrous » a expliqué un policier, interrogé par Le Figaro.

L’objectif est tout autre. Il s’agit « d’empêcher que des quidams tombent accidentellement dessus et de dissuader une partie des ‘consommateurs’ débutants tentés par ce genre d’images« . Les sites filtrées par fournisseurs d’accès et recherchées par le quidam seront remplacés par une page de garde du ministère de l’intérieur avec un rappel à la loi, via l’article 227-23 du code pénal.

Absence de contrôle judiciaire

La publication du décret d’application de l’article 4, si elle permettra aux autorités de demander directement aux opérateurs de télécommunication de bloquer l’accès aux sites à caractère pédopornographique, ne permet pas pour autant de régler certains problèmes soulevés dès la genèse du projet de loi, à commencer par l’absence de contrôle judiciaire.

La liste des sites bloqués sur décision administrative ne sera ainsi probablement jamais rendue publique. À première vue, cette décision peut se comprendre. L’objectif est d’éviter d’attiser la curiosité du quidam en lui indiquant quels sont les sites interdits en France afin qu’il évite de chercher un moyen technique lui permettant de contourner le filtrage.

Or, quid d’autres sites se trouvant par mégarde dans la liste et qui n’ont rien à voir avec la pédopornographie ? C’est loin d’être une situation improbable, en témoigne le cas australien. Dans la mesure où les sites bloqués ne seront pas informés qu’ils sont bloqués, pas plus – a priori – que les internautes, il sera très difficile de contester un blocage abusif.

Le blocage des sites, une mesure contre-productive ?

Cet absence de contrôle et l’impossibilité de contester un surblocage ne sont pas les seuls problèmes engendrés par l’article 4 de la Loppsi. L’efficacité du filtrage en matière de lutte contre la pédopornographie est aussi contestée. Les efforts de blocage pourraient produire l’effet inverse de celui recherché, poussant les pédopornographes à perfectionner leurs techniques pour s’échanger des fichiers.

L’article 4 de la Loppsi permettra-t-il, par exemple, de bloquer des sites de lolicons ? La loi ne le dit pas. Or, si c’est effectivement le cas, cela pourrait être contreproductif dans la lutte contre la pédo-criminalité. En effet, une étude américaine s’est intéressée à la corrélation entre le développement de la pornographie notamment juvénile au Japon et l’évolution des données relatives aux crimes et délits sexuels. Les résultats de l’étude ont surpris les chercheurs eux-mêmes.

L’efficacité du filtrage contestée en France et en Europe

Quoiqu’il en soit, le filtrage des sites pédopornographiques est loin de faire l’unanimité chez les professionnels, en France et en Europe. L’an dernier, l’association d’industriels ECO avait diffusé une étude montrant qu’il était plus efficace de supprimer les fichiers à la source, en passant par les hébergeurs, plutôt que de les faire bloquer par les FAI, ce que n’arrêtent pas de rappeler les associations de protection de l’enfance.

Du côté des FAI, seul Free a manifesté les plus grandes réserves, en indiquant à plusieurs reprises son opposition aux mesures de filtrage sur son réseau. L’opérateur avait rappelé que filtrer sur un réseau très décentralisé comme l’est l’architecture d’Internet en France est très difficile et très coûteux. Les autres principaux FAI, en revanche, ont donné leur accord de principe dès le début de l’année 2009.

En Europe, la France se place en pointe sur ces questions alors que d’autres pays font le chemin inverse. C’est le cas des Pays-Bas qui ont renoncé au filtrage courant mars, tandis que l’Allemagne a annulé le projet de loi sur le blocage des sites de pornographie infantile après un moratoire imposé par le président allemand.

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