Nicolas Sarkozy l’avait affirmé lors du Forum d’Avignon, il y a deux semaines. La mise en œuvre de l’Hadopi a permis d’engranger les premières victoires contre le piratage sur les réseaux peer-to-peer, en permettant de le faire diminuer de 35 % en France. Mais parce que le téléchargement illicite ne se limite pas au P2P, le président de la République s’était dit prêt à une loi Hadopi 3 calibrée pour le streaming.
Il n’en fallait visiblement pas moins pour que l’industrie du cinéma se mette en marche. Nos confrères d’Électron Libre rapporte qu’une première action d’envergure a été initiée en France contre les sites suspectés de favoriser le téléchargement illicite d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Plusieurs sites très célèbres sont ciblés par l’action des ayants droit, comme MegaUpload, MegaVideo, AlloShare, AlloMovie et AlloShowTV.
Le fameux article 336-2 du CPI
Pour justifier leur action en justice, les parties civiles (le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF) et l’Association des producteurs de cinéma (APC)) s’appuient manifestement sur l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle qui permet de bloquer tout contenu illicite communiqué par un service en ligne.
Celui-ci expose « qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le TGI, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner […] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier« .
Orange, SFR, Free, Bouygues…
Nos confrères indiquent que l’assignation en référé des représentants de l’industrie du cinéma porte sur les principaux fournisseurs d’accès à Internet français, à savoir Orange (ainsi que sa maison-mère France Télécom), SFR, Free, Bouygues Télécom, NC Numéricable et Darty. Leurs avocats devront se présenter le 15 décembre prochain devant le tribunal de grande instance de Paris.
Les syndicats du cinéma et de la vidéo ne s’arrêtent pas en si bon chemin, puisqu’ils ciblent aussi les principaux moteurs de recherche utilisés en France, à savoir Google, Bing et Yahoo. Il n’est donc pas surprenant que l’industrie du cinéma assigne aussi Google France, Google Inc, Microsoft France, Microsoft Corp, Yahoo France et Yahoo Inc. À eux trois, ils gèrent la quasi-totalité des recherches françaises.
L’avis du Conseil constitutionnel
Reste à voir comment le juge analysera les demandes des syndicats du cinéma et de la vidéo, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a délimité la mise en œuvre de l’article 336-2. Comme nous l‘expliquions l’an dernier, les sages ont en effet prévenu qu’il ne faudra prendre que des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« .
Les ordonnances de blocage ou de filtrage doivent ainsi être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi« , ce qui doit interdire au juge toute mesure susceptible de provoquer un sur-blocage ou qui serait excessivement coûteuse pour le fournisseur d’accès à Internet, le moteur de recherche ou l’hébergeur.
Et quand bien même un tel blocage serait possible, l’obligation de passer devant un juge au coup par coup limite considérablement son efficacité, et multiplie ses coûts. Des éléments qui n’empêchent nullement les producteurs de cinéma de réclamer le filtrage du streaming, demande récemment renouvelée par le président de l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle et directeur de Gaumont.
La CJUE ignorée
Une chose est sûre, les syndicats du cinéma et de la vidéo se moquent complètement de la jurisprudence établie par la Cour de justice de l’Union européenne. Dans son arrêt Sabam, elle interdit en effet d’obliger à surveiller et bloquer tous les contenus potentiellement piratés, tout en posant certaines limitations au niveau diltrage
Le filtrage n’est en effet légal qu’à la condition qu’il ne bloque en aucune façon la diffusion de contenus licites. Cette restriction devrait être suffisante pour tuer tout projet de faire bloquer les plates-formes de streaming et de téléchargement direct en France, dans la mesure où des contenus légaux sont également hébergés. Mais c’est sans compter l’acharnement des ayants droit.
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