On ne peut pas dire que l’industrie du cinéma n’a pas soigneusement préparé son action en justice pour faire bloquer et déréférencer des sites pirates en France. Fatigués de voir l’Hadopi rejeter le filtrage, qu’ils lui demandent à corps et à cris depuis de très nombreux mois, les ayants droit ont décidé la semaine dernière d’agir en solo (mais avec le soutien en coulisses de l’Elysée) pour d’utiliser l’arme atomique de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle, qui permet de demander au juge de prononcer en urgence à peu près n’importe quelle mesure à l’encontre de n’importe qui, pourvu qu’elles contribuent à lutter contre le piratage. La procédure a deux avantages pour les plaignants : elle ne nécessite pas de citer à comparaître les sites à bloquer, qui dès lors n’ont pas les moyens de se défendre ; et elle peut être mise en œuvre très rapidement. C’est dès le 15 décembre que le juge des référés entendra les arguments des plaignants, avec pour seuls défendeurs les FAI et les moteurs de recherche assignés.
Dans leur assignation, publiée par PCInpact (.pdf), les plaignants reconnaissent parfaitement les limites des mesures de blocage par DNS ou par adresse IP que le juge pourrait ordonner. Ils citent notamment les échecs relatifs à The Pirate Bay qui a pu créer différent noms de domaine pour permettre aux internautes de continuer à le visiter, ou la création de sites miroirs pour contourner le blocage de CopWatch en France.
C’est pourquoi ils proposent au juge une solution clé en main pour le suivi de l’application judiciaire des mesures ordonnées, ce qui serait une première au monde. Ils demandent au tribunal d’ordonner aux FAI et aux moteurs de recherche qu’ils s’interconnectent avec TMG, la fameuse société nantaise déjà responsable de la chasse aux adresses IP sur les réseaux P2P, pour mettre à jour les mesures de blocage en temps réel. Si un site change d’adresse IP ou renaît sous un nom de domaine différent, il sera immédiatement ajouté à la liste pour être de nouveau bloqué.
Les sites seront identifiés par leurs « paramètres clés », dont on ne sait à peu près rien, et un « dispositif logiciel » permettra à TMG de notifier automatiquement aux FAI et à Google et consorts les modifications à apporter au filtrage. Toutes les modifications seront simplement vérifiées par un agent assermenté de l’ALPA, sans que le juge n’ait à valider chaque changement d’adresse IP ou de nom de domaine. Au nom de l’efficacité, le juge est appelé à faire confiance à une société privée déjà épinglée pour ses mesures de sécurité défaillantes, et il n’interviendra que si l’une des parties décide de le saisir suite à une difficulté. Aucune assurance n’est donnée sur l’impossibilité de surbloquer des sites par l’ajout d’une adresse IP, ou d’ajouter injustement des noms de domaine qui ne seraient pas de purs clones du site déjà bloqué.
Avec ce dispositif, l’ALPA et les industriels du cinéma qu’elle représentent n’ont plus besoin de l’Hadopi pour défendre leurs droits. Si cette dernière continue de traquer les particuliers sur les réseaux P2P, pour leur dire de se rendre sur les plateformes légales, les ayants droit se chargent eux de faire bloquer les sites pirates alternatifs.
Le dispositif est ainsi décrit dans l’assignation :
L’ALPA a structuré un dispositif autour de deux pôles complémentaires :
- D’une part, un dispositif logiciel a été mis au point pour permettre d’effectuer un suivi permanent et en temps réel des sites, de leurs adresses IP et de leurs noms de domaine, pour signaler et traiter tout changement pouvant intervenir postérieurement à la décision judiciaire de blocage d’accès et de déréférencement des moteurs de recherche.
- D’autre part, une intervention humaine a été prévue pour vérifier une situation signalée par le dispositif logiciel, et procéder à un rapprochement avec une situation antérieurement traitée afin de valider la similarité des situations litigieuses justifiant les mesures prises, dans le cadre d’une veille permanente pour permettre aux agents assermentés de traiter à tout moment (tous les jours de l’année) les signalements correspondants.
Selon les situations identifiées par le traitement automatisé mis en place :
- Ou bien le dispositif utilisé, après comparaison des paramètres clés d’identification des sites internet objets de la présente procédure permet de constater que les modifications intervenues n’affectent aucun des paramètres clés sur le fondement desquels l’autorisation de blocage a été accordée, et dans ce cas la mesure de blocage ordonnée par le Juge s’étend à l’adresse IP qui a été substituée à celle ayant fait l’objet de la décision de blocage initial, la précédente adresse IP étant alors elle-même débloquée.
- Ou bien le dispositif utilisé, après comparaison des paramètres clés d’identification des sites internet objets de la présente procédure, permet de constater et de faire confirmer par un agent assermenté l’apparition de sites nouveaux qui ne constituent que la copie de ceux dont l’accès a été bloqué, et il convient alors de permettre aux mesures de blocage prononcées de maintenir leur efficacité en étendant leurs effets à ces situations strictement similaires.
Il en va de même, dans les mêmes circonstances, d’un nouveau nom de domaine se substituant au nom de domaine initial.
Dans ces hypothèses, sur le fondement des constatations de l’agent assermenté en aval du traitement automatisé, ledit agent assermenté doit donc être autorisé à notifier tout changement aux intermédiaires techniques de l’Internet parties à la procédure pour qu’ils en prennent compte dans un délai raisonnable.
Après une période initiale au terme de laquelle il devrait être possible de faire le point de la mise en place des mesures sollicitées, le processus décrit pourra être soumis au Juge pour un réexamen à l’initiative de toute partie intéressée dans les conditions fixées au dispositif. Enfin, s’il apparaît que l’un ou plusieurs des paramètres clés sur le fondement desquels l’autorisation de blocage avait été accordée a ou ont été modifiées, ou encore qu’il existe à tout le moins un doute sur une telle modification, les constatations de l’agent assermenté en aval du traitement automatisé conduiront à une nouvelle saisine du Juge préalablement à toute notification compte tenu de difficultés ou d’aléas n’autorisant pas un traitement par équivalence.
SUR LE TRAITEMENT EN TEMPS REEL DES CHANGEMENTS SUSCEPTIBLES D’INTERVENIR
Pour assurer ce traitement en temps réel, une fois qu’une adresse IP d’un site a fait l’objet d’une décision judiciaire de blocage, elle sera placée dans une base d’observation intégrée au dispositif logiciel d’actualisation aux fins de mise sous observation permanente. Dans ce cadre un certain nombre de paramètres font l’objet d’une vérification automatisée. II s’agit notamment de vérifier si les paramètres clés de l’identité du site ont été modifiés et si l’adresse IP est éligible au blocage.
Ainsi la mise à jour des mesures à intervenir sera notamment assurée grâce à une comparaison automatisée des paramètres clés de l’identité de chacun des sites concernés tels que notamment ceux apparaissant dans leur code source respectifs au travers de leur expression régulière.
Pourront être sauvegardées de la sorte par le processus développé par l’ALPA avec TMG les exigences de preuve, de prévisibilité, de transparence nécessaires à l’obtention de l’autorisation du juge sans permettre aux sites illicites visés d’en profiter pour anticiper le traitement.
Seront examinées les différentes étapes du contrôle effectué par le dispositiflogiciel de l’ALPA-TMG comme suit :
=> Site déjà visé par la mesure de blocage d’accès=> IP du site en question à un instant T=> Nom de domaine du site à un instant T
Dans le but de pouvoir suivre toutes modifications de stratégie de l’administrateur du site visé par la mesure, les acteurs de l’Internet en situation de détecter tout changement seront régulièrement interrogés.
Si les paramètres clés de l’identité des sites concordent de façon quasi-exhaustive sur les différents pages, donc sur les différents codes sources, alors une vérification par agent assermenté sera effectuée, et en l’absence de contradiction entre le résultat du processus automatisé et les constatations de l’agent, une notification sera adressée aux prestataires techniques parties à la procédure afin de réaliser l’actualisation de la mesure ordonnée.
Le traitement d’actualisation pourra déboucher, selon les cas, sur un nouveau blocage de nom de domaine (par exemple www.illegal-sitez.com, copie conforme du site www.illegal-sitel.com faisant objet de la mesure de blocage, autrement appelé « site miroir ») ou encore d’une nouvelle adresse IP pointant vers une copie de ce même site, mais ne possédant pas de nom de domaine. Il pourra également déboucher sur un déblocage du nom de domaine ou de l’adresse IP préalablement bloquée.
Dans toutes les hypothèses où le traitement d’actualisation conduirait à la constatation de l’existence de difficultés, de doutes, ou d’aléas, n’autorisant pas un traitement par équivalence, les actions découlant du traitement automatisé ne feront pas l’objet d’une notification par l’agent assermenté, ce dernier invitant les demandeurs à procéder à une nouvelle saisine préalable du juge.
Il est précisé que toute notification de blocage ou de déblocage effectuée par un agent assermenté en application de la décision judiciaire à intervenir fera l’objet d’une notification (en français et en anglais) en premier lieu, s’agissant des noms de domaine, aux enregistreurs de noms de domaines (Registrars) et à tout prestataire d’anonymisation apparaissant comme le titulaire du nom de domaine (« Registrant »), et en second lieu à l’hébergeur du site internet s’agissant de l’adresse IP. Le dispositif logiciel d’actualisation couvre par hypothèse de très nombreuses situations factuelles susceptibles de survenir.
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