Jean-Bernard Lévy, patron de Vivendi et donc de sa filiale SFR, demande que les opérateurs télécoms aient le droit de faire payer les éditeurs de sites et de services internet pour leur garantir une qualité de service auprès des abonnés. Laquelle ne serait pas garantie pour les acteurs plus petits au portefeuille moins garni.

En mars 2011, la Commission Européenne avait réuni avec une étonnante discrétion une quarantaine de grands patrons des télécoms, parmi lesquels figuraient les patrons de Free, SFR et Orange, pour leur demander comment « assurer au mieux les investissements de très haut niveau du secteur privé« . Bruxelles voulait voir avec eux comment les convaincre de mettre en œuvre l’Agenda Numérique de l’Europe, qui prévoit que tous les Européens aient un accès à 30 Mbps minimum d’ici 2020, et au moins la moitié d’entre eux à 100 Mbps. Il s’agissait d’une invitation implicite à sacrifier le dogme de la neutralité du net pour proposer de nouveaux modèles économiques, comme l’avait déjà accepté la Commission en filigrane.

Le rendez-vous s’était conclu par la désignation de trois représentants de l’industrie, dont Jean-Bernard Lévy, le président de Vivendi, qui est propriétaire à la fois de producteurs de contenus (Universal Music, Activision, Canal+…) et d’opérateurs télécoms (SFR). Le résultat fut sans surprise une série de propositions aboutissant à la mort d’internet tel qu’on le connaît. L’Europe « doit encourager la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services« , concluaient les industriels, ravis de l’initiative bruxelloise.

Cependant « à ce jour, ces propositions n’ont pas trouvé la résonance que leurs auteurs étaient en droit d’espérer« , se lamente Jean-Bernard Lévy dans une tribune publiée sur Paris Tech Review. Il profite des difficultés économiques très fortes en Europe pour pousser encore son avantage. « Dans le contexte actuel de crise des finances publiques, il est plus que jamais nécessaire de bâtir un cadre incitatif pour l’investissement de l’ensemble des opérateurs« , écrit-il. Et ce cadre passe notamment, outre des partenariats pour le déploiement de la fibre optique, par « de nouveaux modèles économiques entre opérateurs et éditeurs« .

« Concrètement, un éditeur de services ou de contenus souhaitant assurer à ses utilisateurs ou clients qu’ils bénéficieront d’une qualité de service garantie pourrait recourir aux services dits ‘managés’ que développent les opérateurs télécoms« , propose le patron de Vivendi. Cette approche « doit pouvoir assurer une qualité de service garantie à des éditeurs de services ou de contenus« , et « les géants du Web, qui réalisent aujourd’hui des bénéfices colossaux, seraient naturellement parmi les premiers intéressés« . En clair, Google, Facebook, ou Dailymotion paieraient pour avoir la garantie d’un service de qualité qui conforte leur image de marque, quand leurs concurrents de moindre taille se contenteraient du « best effort » des opérateurs au risque d’un service de moindre qualité. Si l’on veut décourager l’innovation et étouffer les start-ups dans l’oeuf, voilà la proposition qu’il faut suivre.

« La question de la neutralité du Net doit être envisagée bien plus sous l’angle de la dynamique économique que sous l’angle des libertés publiques« , ajoute Jean-Bernard Lévy. Lequel ajoute, ce qui paraît en totale contradiction avec le reste de son discours, qu’il ne serait « évidemment pas acceptable (…) de voir se construire un internet à deux vitesses« . C’est pourtant exactement ce qu’il propose.

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