Il y a moins d’un an, en juin 2011, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand avait rejeté toute idée de réviser le droit d’auteur, en affirmant que le droit actuel était encore parfaitement adapté aux enjeux du numérique et à l’évolution de la société. Et effectivement, le gouvernement n’a jamais ouvert de débat de fond.
La campagne présidentielle de 2012 aurait pu être l’occasion d’ouvrir ce débat, mais là encore aucun des candidats en position d’accéder au second tour de l’élection n’a émis la moindre proposition de remise en cause des règles du droit d’auteur.
C’est donc là où on l’attendait le moins que le débat s’ouvre enfin avec le plus grand intérêt. L’Hadopi, créée pour mettre en œuvre la riposte graduée, a en effet publié mercredi un long questionnaire de 20 pages (.pdf) sur les exceptions au droit d’auteur et au droit voisin. Il est publié dans le cadre du chantier confié à l’ancien ministre Jacques Toubon et aux professeurs de droit Christophe Alleaume et Cécile Méadel.
Il ne s’agit pas du grand débat que l’on attend sur la légitimité du droit d’auteur, notamment concernant la durée de protection des œuvres, mais c’est déjà un pas énorme dans la bonne direction.
« Le développement de nouvelles technologies, induisant de nouvelles utilisations des œuvres, (internet, réseaux sociaux, streaming, cloud, numérisation…) et brouillant la frontière entre usage privé et public remet en cause en profondeur un droit élaboré en partie pour un tout autre contexte, et insuffisamment adapté à ces nouvelles utilisations« , écrit l’Hadopi en préambule.
Notamment, en droit français et européen, le principe est que toute exploitation d’une œuvre qui n’est pas explicitement autorisée par les ayants droit est interdite, sauf dans des cas strictement délimités par la loi, appelées « exceptions ». La plus célèbre étant l’exception pour copie privée. Or, « la facilité avec laquelle une œuvre peut être appropriée et diffusée semble vider de son sens la notion d’exceptions« , constate la Haute Autorité.
Une vingtaine d’exceptions strictement limitées par la loi
Elle propose donc de définir un « nouvel équilibre (qui) ne se limiterait pas à amender et compléter les exceptions aux droits d’auteurs et aux droits voisins« , mais qui pourrait aboutir à une révision radicale de certains aspects du droit d’auteur. La consultation, ouverte jusqu’au 15 mai 2012, aboutira à la publication d’un rapport à l’été ou l’automne 2012
Concrètement, le document fait d’abord le tour de l’ensemble des exceptions prévues par la loi (une vingtaine), pour interroger sur leur applicabilité concrète et leur fondement. Par exemple, faut-il autoriser le streaming dans le cadre de l’exception de représentation privée ? La fixation d’un nombre minimal de copies autorisées a-t-elle un sens pour la copie privée ? Que faut-il penser de la nouvelle exigence d’une « source licite » pour la copie privée, et selon quel critère faut-il l’apprécier (faut-il, par exemple, exiger une traçabilité de toutes les copies successives pour remonter jusqu’à la source et vérifier que toute la chaîne a respecté le droit d’auteur ?).
Mêmes types d’interrogations pour les courtes citations, les revues de presse, la reproduction d’extraits d’œuvres à des fins pédagogiques, la parodie ou la caricature, la reproduction provisoire (le « caching »), les reproductions au profit de personnes handicapées, ou encore les exceptions en matière de logiciels (interopérabilité, décompilation, copie de sauvegarde…). Le tour du code de la propriété intellectuelle est complet ; ce qui est bienvenue pour mesurer l’usine à gaz mise en place au fil du temps par le législateur. Une usine encore complexifiée par la protection juridique des DRM qui sont eux-mêmes souvent incompatibles avec l’exercice des exceptions légales.
Un fair use à l’américaine dans le droit d’auteur français ?
Dans un deuxième temps, l’Hadopi rappelle que les exceptions définies par le droit d’auteur doivent en plus respecter le « test de trois étapes » imposé par les textes internationaux. Or elle se demande s’il ne faudrait pas se contenter dans ce test de vérifier si l’exploitation voulue ne cause pas de « préjudice injustifié » aux ayants droit, auquel cas les autres tests seraient inutiles. Mais dans ce cas, « comment apprécie-t-on le préjudice causé aux intérêts légitimes des titulaires de droits, et son caractère éventuellement justifié, notamment en cas de divergences d’intérêts entre ces derniers » ? Là encore, il s’agit d’une véritable usine à gaz que seule la jurisprudence arrive péniblement à trancher, et qui paraît inadaptée à un droit d’auteur qui s’impose désormais aux simples citoyens et non plus aux professionnels.
Dès lors, l’Hadopi brise un tabou et suggère une approche ouverte, sur le modèle du « fair use » américain, qui suscite déjà de l’intérêt dans plusieurs pays européens dont le Royaume-Uni, l’Irlande ou les Pays-Bas. L’idée est de ne plus créer une liste limitative des exceptions autorisées au droit d’auteur, mais de fixer un cadre global au sein duquel les exploitations non autorisées par les ayants droit seraient tout de même permises, pour l’intérêt général. L’Hadopi ajoute qu’il pourrait être intéressant alors de créer un « droit de l’exception », qui définirait ce que serait ce cadre global selon différents critères comme l’intérêt général, ou la destination commerciale ou non de l’usage.
A défaut, la consultation demande l’avis des intéressés sur de nouvelles exceptions qui pourraient être ajoutées à la liste limitative, comme l’autorisation du prêt numérique. Le document ose même aborder discrètement l’idée d’une une forme de licence globale, en demandant ce qu’il faut penser de la création d’une « exception permettant le partage d’œuvres à des fins non commerciales entre personnes physiques, assortie d’un mécanisme de compensation équitable« .
A l’instar des réflexions menées au ministère de la Culture sur la taxation du cloud, L’Hadopi demande plus fondamentalement s’il est « encore pertinent, à l’heure du numérique, de centrer les systèmes de droit d’auteur sur la notion de reproduction et de représentation« .
Le chantier est extrêmement prometteur, et sera sans nul doute accaparé par les organisations d’ayants droit qui y répondront avec la plus grande précision, pour neutraliser ses effets éventuels (malheureusement très éventuels, puisque l’essentiel du droit d’auteur français est verrouillé par les traités internationaux qu’il est quasiment impossible de dénoncer). Numerama aussi, tentera d’y répondre.
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