La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié mardi une analyse d’impact (.pdf) de son activité, qui couvre les 17 premiers mois de la réponse graduée entre octobre 2010 et décembre 2011. Elle en conclut qu’il existerait « une nette tendance au recul du téléchargement illégal en P2P » depuis l’envoi des premiers e-mails d’avertissement.
Pour le démontrer, elle utilise une méthode proche de celle employée par Jean Berbinau pour défendre la riposte graduée, quoique beaucoup moins caricaturale dans ses conclusions.
Elle a en effet choisi de sélectionner et de croiser différentes sources en empruntant ici une étude de l’IFPI (le lobby international des maisons de disques), là une expertise de la société anti-piratage Peer Media Technologies, ou ici encore une étude menée par TMG pour l’Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle (ALPA). Toutes affirment une même tendance baissière dans l’usage du P2P en France de 17 % à 66 % selon les mesures, sans que l’on puisse véritablement vérifier la méthodologie mise en œuvre, faute d’avoir rendu publiques ces différentes études.
Or les méthodologies ne sont pas négligeables. Nous avons par exemple demandé à l’Hadopi sur quelle base était réalisé le graphique qui montre une baisse d’audience de 17 % des sites proposant des fichiers et applications P2P en 2011 (ce qui, soit dit en passant, est une baisse moins forte que celle observée en 2010). En réponse, elle nous indique que la mesure a été faite « grâce à l’installation d’un logiciel (appelé » Nielsen NetSight meter « ) sur l’ordinateur des membres du panel (environ 27 500 panélistes en France) », et que « ce logiciel enregistre de manière passive les activités du sondé (visite de site, utilisation d’applications, etc.) » sur une quarantaine de sites et logiciels P2P. « Le graphique indique le nombre de personnes qui ont utilisé au moins l’un de ces services« , nous précise l’Hadopi. Or le fait même qu’un logiciel de mesure d’audience soit installé sur le poste du sondé induit un biais ; on n’accepte rarement d’être observé, même anonymement, lorsque l’on se rend coupable de pratiques illégales.
Faute de mieux, il faut donc croire les études sur parole. Et après tout, pourquoi pas. Il n’y a rien d’incohérent à ce que le P2P soit en perte de vitesse. Il l’était déjà avant l’arrivée de l’Hadopi, semble-t-il au profit du streaming et du téléchargement direct (DDL). Mais sur ce point, la Haute Autorité se veut circonspecte. Elle indique qu’un « report important des usages sur les services de streaming et de téléchargement direct n’est pas démontré« . Mais elle ne démontre pas non plus l’inverse. Si le P2P est en baisse, rien de concret ne permet d’affirmer ni que le streaming ou le DDL sont en hausse, ni qu’ils régressent. En se basant là encore sur un panel Médiamétrie/NetRatings issu des sondes installées chez les internautes volontaires, l’Hadopi observe « un certain équilibre des pratiques« , constatant que des sites montent quand d’autres baissent, et vice-versa (l’impact de la fermeture de MegaUpload n’a pas été mesuré, puisque le rapport s’arrête à fin 2011). Mais cette mesure d’audience est-t-elle vraiment fiable ?
N’ayant pas ses propres données d’analyse, la Haute Autorité en est réduite à tenter de rassembler des « faisceaux d’indices » peu convaincants, pour mener des analyses censées légitimer son action. Il faut regretter que l’Hadopi, autorité publique indépendante, n’ait pas les moyens de ses propres études, financées par les pouvoirs publics, et qu’elle soit ainsi obligée de se reposer sur celles commandées par des lobbys privés. Comment évaluer le succès de politiques publiques lorsque l’on ne dispose des moyens de mesurer objectivement leur impact ?
Encore faute de disposer de données « récentes », l’Hadopi ne parle pas de l’évolution des ventes, qui devrait pourtant être un des critères les plus objectifs pour mesurer l’efficacité ou non de la riposte graduée et de la labellisation des plateformes. Si le piratage baisse mais que les ventes n’en profitent pas, ce serait en effet la preuve que le piratage n’a pas d’effet cannibalisant sur les ventes, et que seule la culture est perdante dans la lutte contre les échanges de fichiers. Or ces données sont totalement absentes du rapport. Il montre uniquement que des plateformes labellisées PUR ont gagné en audience, sans que les causes soient bien déterminées (est-ce dû à un réel intérêt des consommateurs pour le légal grâce à la réponse graduée, ou à un meilleur référencement des plateformes sur un Google qui a décidé de censurer les sites pirates ?).
Il faut donc prendre la note d’analyse pour ce qu’elle est : une simple fraction de la vérité, qui n’est en rien « la » vérité concernant l’impact réel de la réponse graduée et la réaction des internautes. Pour être sincère, l’étude d’impact devra être réalisée avec beaucoup plus de données, objectives, acquises avec une méthodologie parfaitement transparente.
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