Avec la loi Hadopi, le gouvernement de François Fillon a réalisé une première historique : mettre sur pieds une institution administrative dont la mission première n'est pas d'être au service du plus grand nombre des citoyens, mais au contraire de les contraindre au service d'une minorité (il suffit de consulter la liste des autorités administratives indépendantes en France pour le vérifier). Avec la mission Lescure, censée redéfinir le rôle de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a la possibilité de redonner à l'institution le caractère d'utilité générale qu'elle aurait dû avoir.
Ingénieur TIC chargé de la veille technologique et de la prospective à l'Hadopi, Gaëtan Poupeney (aka @erebuss) a publié sur son blog un billet inspiré qui défend l'idée d'appliquer un "patch" à ce qu'il appelle le "système d'exploitation Hadopi". Il passe rapidement sur la riposte graduée, en proposant de l'alléger sans la supprimer totalement, et s'attarde plus volontiers sur un défaut crucial de la loi : l'absence de réels pouvoirs de régulation de l'offre légale.
Parce que la loi Hadopi n'a été conçue qu'avec l'obsession aveuglante de la riposte graduée, et parce que le reste n'était que saupoudrage permettant au gouvernement de prétendre à un texte équilibré, le législateur n'a en effet donné à la Haute Autorité aucun pouvoir de contrainte à l'encontre des ayants droit et de leurs partenaires. Elle a certes hérité des prérogatives de régulation de DRM et de la copie privée de l'ancienne Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT), mais avec un carcan tel qu'elle a pieds et mains liés.
Or à trop se focaliser sur les devoirs des justiciables, le législateur a oublié que les citoyens avaient aussi des droits à faire valoir. Et personne pour les défendre. C'est là qu'une Hadopi 2.0 pensée pour l'intérêt général prend tout son sens.
Revue et corrigée, l'Hadopi pourrait par exemple se saisir du problème croissant de l'abus de droits d'auteur, qui se manifeste par exemple sur YouTube. Comme nous le voyions encore aujourd'hui avec une chanson du domaine public retirée suite à une dénonciation abusive, Google a la gâchette beaucoup trop facile. Il présume que les ayants droit qui accusent ont raison, et que les personnes accusées sont coupables jusqu'à preuve contraire. Gaëtan Poupeney propose que l'Hadopi puisse servir de médiateur entre l'internaute injustement censuré et la plateforme (ce qui aurait un réel intérêt pour protéger l'anonymat des accusés).
Mais allons plus loin.
Confions à l'Hadopi 2.0 un pouvoir dissuasif de sanction. Qu'elle puisse infliger des amendes, sinon aux sites qui suppriment trop vite les contenus légaux, au moins aux ayants droit qui dénoncent abusivement des contenus qui ne leur appartiennent pas. L'article 6 de la LCEN prévoit déjà de sanctionner pénalement "le fait, pour toute personne, de présenter (un) contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte". Il faut modifier la fin de cet article avec cette formule : "alors qu'elle n'a pas vérifié si cette information était exacte". Cela permettrait de condamner l'utilisation excessive de procédés automatisés qui aboutissent à des dénonciations invérifiées et erronées. Et à défaut d'avoir elle-même des pouvoirs de sanction, il faut donner à l'Hadopi la possibilité de porter ces affaires en justice, au nom des internautes.
Sur les DRM, l'Hadopi 2.0 pourrait aussi beaucoup. Par exemple : obliger à un affichage clair, en haut de page, des restrictions d'utilisation imposées sur les contenus proposés à la vente ; obliger les plateformes à permettre la transmission des fichiers acquis à un tiers, que ce soit dans le cadre d'une vente, d'une donation ou d'un héritage ; interdire aux plateformes l'utilisation du mot "vente" ou "achat" lorsqu'il s'agit en fait d'une location à durée indéterminée (typiquement le cas des contenus lisibles uniquement après autorisation par un serveur distant) ; permettre aux consommateurs de transférer les contenus achetés sur une plateforme vers une autre plateforme (un problème qui promet de prendre de l'ampleur avec le développement des achats "dans le cloud"), etc.
Enfin, pour le développement de l'offre légale, le label PUR qui permet d'identifier les plateformes légales est d'une utilité plus que limitée. Il faut mettre en oeuvre la proposition du rapport Zelnik (dans un premier temps validée par Nicolas Sarkozy, puis aussitôt enterrée) de mettre en place une licence obligatoire, à ne pas confondre avec la licence globale. L'idée serait simplement d'obliger les ayants droit à communiquer publiquement les conditions tarifaires d'exploitation de leurs catalogues, et de leur interdire de refuser l'accès à ce catalogue. Toute entreprise qui désire vendre de la musique et/ou des films sur Internet pourrait le faire sans avoir à entrer dans des négociations extrêmement complexes, qui laissent place à l'extorsion d'avances sur recettes beaucoup trop lourdes pour la plupart des start-up. Rappelons que les stations de radio n'ont pas besoin de négocier les droits pour diffuser un disque à l'antenne, il leur suffit de payer la redevance prévue à la SPRE. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même sur Internet ? Les entrepreneurs qui souhaitent concurrencer Deezer ou iTunes pourraient le faire beaucoup plus sereinement, en focalisant leur attention sur l'innovation davantage que sur la négociation.
Dans le même esprit, l'Hadopi 2.0 pourrait se voir confier des pouvoirs visant à obliger les éditeurs à donner accès aux oeuvres introuvables légalement sur Internet. Cela éviterait à des entreprises qui veulent être légales de devoir afficher ce type de messages désespérés à leurs clients :
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