Guillaume Pepy demande que les autorités de lutte contre les abus de position dominante obligent Google à respecter un principe de neutralité, en séparant les activités de moteur de recherche et les activités connexes de l'entreprise américaine, notamment de réservation de billets. Une proposition bien moins folle qu'il n'y paraît.

Dans une tribune qu'il co-signe dans Le Monde, le patron de la SNCF Guillaume Pepy livre un réquisitoire acerbe et néanmoins justifié contre les dangers de la position ultra-dominante de Google dans la recherche d'informations sur Internet. Il le fait, bien sûr, d'abord et avant tout pour défendre les propres intérêts de sa société, dont une partie de l'activité consiste désormais à vendre des voyages et services connexes sur le site Voyages-sncf.com. Mais ce qu'il dénonce n'en est pas pour autant moins vrai :

Le moteur de recherche préféré des Européens tient autour de 97 % de part de marché en France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie. Mais dans le voyage, c'est aussi un comparateur des offres de transport et d'hébergement, un éditeur de contenus avec Zagat (guide de restaurants) et Frommer's (guide de voyages), et un éditeur de services avec Google Flights (comparaison des offres aériennes), se retrouvant ainsi dans la position d'orienter l'internaute sur toute la chaîne de valeur, de la recherche à la réservation.

(…) Comment se gère le conflit d'intérêts entre la position de moteur de recherche, neutre et encyclopédique, et des activités commerciales, choisies et intéressées ? Google revendique l'exhaustivité et la pertinence des résultats de ses recherches. Mais ces résultats pourraient être biaisés à son seul bénéfice. Et l'utilisateur ne sait rien de la manière dont ses données privées sont utilisées pour lui présenter des résultats adaptés à son profil… et au profit des annonceurs

Le problème, comme Guillaume Pepy le dit lui-même, ne se pose pas – loin s'en faut – qu'avec les seules activités liées au voyage. Alors qu'il se contentait autrefois de diriger l'internaute vers les pages où se trouvent les réponses qu'il recherche, Google a multiplié le nombre des services internes qui apportent eux-mêmes la réponse voulue. Le concept s'est radicalisé ces derniers mois avec le Knowledge Graph.

"Google est probablement la seule société au monde dont l’objectif avoué est de faire en sorte que ses visiteurs quittent son site aussi vite que possible", dit la firme de Mountain View dans le manifeste de sa philosophie. Mais ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il cherche désormais à capter l'audience sur tous ses services périphériques : YouTube, Google Maps, Google+, Google Shopping, Gmail, Google Actualités, etc., etc. Plus l'internaute reste dans l'univers Google, plus il a de chances de cliquer sur des publicités de ses annonceurs.

Couper Google en deux ?

De façon inattendue, puisqu'elle était jusqu'ici taboue, Guillaume Pepy rejoint l'idée que nous avions émise il y a deux ans, de scinder l'entreprise Google en plusieurs morceaux, à l'instar de ce qui avait avait été ordonné pour Microsoft, et finalement abandonné.

"Nous pensons nécessaire de séparer la recherche d'information des services commerciaux consacrés au tourisme et aux transports, dans lesquels la concurrence est nécessaire (…) Ces mesures pourraient être déclinées bien au-delà du tourisme, car tous les secteurs marchands du Net sont concernés", écrit Guillaume Pepy.

"Cette séparation des métiers et cette transparence seraient des mesures qui iraient dans le sens des intérêts des moteurs en supprimant tout ce qui peut s'apparenter à un conflit d'intérêts, tout en conservant pour le consommateur leurs qualités".

En 1948, aux Etats-Unis, un jugement très important dans l'histoire d'Hollywood avait obligé les grands de studio de cinéma à se séparer des salles de cinéma qu'ils possédaient, pour éviter qu'il puissent abuser de l'intégration verticale de toute la chaîne de production et de diffusion. "La concentration permet nécessairement l'abus. Et le fait que l a puissance créée par la grandeur d'une entreprise ait été utilisée dans le passé pour écraser ou empêcher la concurrence prouve bien que, toutes les fois qu'il y a monopole, il y a l'intention d'en abuser, intention que la loi veut précisément frapper", avait rappelé le juge Douglas.

Pour tenter de répondre au problème, la Commission Européenne a ouvert en 2010 une enquête en abus de position dominante contre Google, qui a abouti au mois de mai 2012 à la communication formelle de griefs contre Google.

Etrangement, alors qu'il s'agit là d'un sujet d'intérêt public et économique majeur pour nombre d'entreprises européennes, dont plusieurs ont déposé plainte, la Commission n'a pas publié le détail des reproches officiels formulés contre le moteur de recherche. Les deux négocient désormais en secret une sortie amiable, qui devrait éviter à Google à la fois de payer une très lourde amende (jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires), ou de se voir dans l'obligation de séparer ses activités en plusieurs entités indépendantes.

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