Il fallait bien que cela arrive un jour. Le registre Internet régional RIPE-NCC, chargé de desservir l'Europe, le Moyen-Orient et certains pays de l'Asie centrale, a annoncé ce vendredi avoir distribué les derniers blocs d'adresses IPv4 disponibles en réserve. C'est le deuxième registre Internet régional à se retrouver dans une pareille situation, après l'APNIC le 15 avril 2011, dont l'influence s'étend à l'Asie et au Pacifique.
Que va-t-il désormais se passer maintenant ? La situation n'est pas encore complètement coincée. Le RIPE-NCC indique qu'il dispose encore d'un bloc particulier, /8, qui peut servir à répondre à certaines demandes. Mais comme le précise sur son blog Stéphane Bortzmeyer, architecte systèmes et réseaux à l'AFNIC, ces adresses sont attribuées "selon une politique très restrictive".
Les adresses du /8 alimenteront en particulier les registres Internet locaux (LIR). Ces derniers vont des grands fournisseurs d'accès à Internet (France Télécom, SFR, Free, Bouygues Telecom, Numericable) à des structures plus ou moins importantes : le CERN, Akamai, AT&T, Verizon, Renater, OVH, Amen ou encore Nerim, pour n'en citer que quelques-uns. Rien qu'en France (basés ou actifs), il y en a des centaines.
Selon le RIPE-NCC, chaque LIR peut recevoir une allocation /22 (1024 adresses), même si celui-ci peut prétendre à un don plus important. Les allocations /22 ne seront données qu'aux LIR qui se sont engagées dans la voie de l'IPv6. Une manière de forcer la main des retardataires, en conditionnant fortement l'accès à ces tous derniers stocks.
Une fois que les LIR auront épuisé les adresses qui leur auront été données à partir du /8, ils ne pourront plus rien donner à leurs clients. La pénurie des adresses IPv4 se déroule en cascade. En haut de la pyramide, c'est l'Internet Assigned Numbers Authority (IANA) qui s'est retrouvé d'abord en situation de pénurie, en allouant les derniers préfixes IPv4 libres aux registres Internet régionaux (RIR).
Avec les allocations IPv4 accordées par l'IANA, les RIR vont ensuite alimenter les LIR. Dans deux cas (RIPE-NCC et APNIC), tout a été dépensé, hormis le bloc spécial. Ensuite, les registres Internet locaux feront de même avec les utilisateurs finaux. Une fois les ultimes réserves épuisées, le RIPE-NCC et à terme tous les autre RIR ne pourront plus allouer que des adresses en IPv6. C'est l'étape 3 qui est atteinte aujourd'hui.
Et ensuite ? "Il faut, ou bien arrêter toute croissance de l'Internet, ou bien passer à IPv6, comme cela aurait dû être fait depuis longtemps", déclare, non sans provocation, Stéphane Bortzmeyer. Ou bien passer par des solutions bricolées, comme la traduction d'adresse réseau (NAT). Solution "qui limite le nombre de services auxquels [les internautes, les associations, les PME] auront accès", prévient-il. Comme le P2P.
Ni l'arrêt de la croissance du net ni l'utilisation de solutions alternatives imparfaites ne sont des pistes viables pour le RIPE-NCC. Seul l'IPv6 doit compter. "Il est aujourd'hui impératif que toutes les parties prenantes déploient l'IPv6 sur leurs réseaux pour assurer la continuité de leurs opérations en ligne et la croissance future d'Internet", déclare le RIR dans son communiqué.
Au sujet de l'IPv6, rappelons l'existence d'une question écrite posée par le député UMP Lionel Tardy, qui interpelle la ministre déléguée à l'innovation et à l'économie numérique sur la situation en France. Publiée au Journal officiel le 31 juillet, elle n'a toujours pas reçu de réponse des services de Fleur Pellerin. Un silence guère encourageant et qui n'envoie pas un très bon message.
Face à l'épuisement de l'IPv4, diverses actions ont déjà eu lieu. Il y a eu le World IPv6 Day en 2011 et le World IPv6 Launch cet été. De son côté, la commissaire européenne Neelie Kroes en charge de la politique numérique du Vieux Continent a invité tous les acteurs à accentuer plus encore leurs efforts pour passer à l'IPv6 et abandonner l'IPv4.
Développé dans les années 90, le protocole réseau IPv6 doit combler la grande faiblesse de la norme précédente, IPv4, qui est sa capacité d'adressage limitée. Elle ne peut attribuer simultanément "que" 4,29 milliards d'adresses, à cause de son codage sur 32 bits. Avec l'IPv6, les adresses sont codées sur 128 bits. De quoi en attribuer près de 340 sextillions.
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