« Sega, c’est plus fort que toi !« . Jamais le slogan de l’entreprise japonaise n’aura été aussi juste. Il est cependant regrettable que la toute puissance de Sega s’exerce contre les passionnés de Shining, une série de jeux vidéo née avec la Megadrive et qui perdure encore aujourd’hui via des titres sortis sur mobile, Nintendo DS ou PlayStation Portable.
L’affaire est racontée par Destructoid, relayant un témoignage publié sur NeoGaf. Afin de préparer le lancement commercial d’un nouveau jeu Shining, dont la sortie au Japon est programmée le 28 février 2013, Sega a tout simplement décidé de supprimer de YouTube toutes les vidéos se rapportant aux titres Shining Force III et Shining The Holy Ark, sortis à la fin des années 90 sur Saturn.
Pour parvenir à ses fins, l’ancien fabricant de consoles envoie des notifications à YouTube en se basant sur la propriété intellectuelle. Et ça marche ! les vidéos évoquant Shining Force III et Holy Ark sont supprimées. Et selon les témoignages des internautes, Sega ne fait pas dans la dentelle : sont ciblées les vidéos de test, les didacticiels (« walkthroughs ») et les clips (« AMV »).
Même les vidéos ne faisant qu’évoquer Shining Force III et Holy Ark, c’est-à-dire sans présenter d’images du jeu, sont touchées par cette vague de notifications. Pourtant, plus de dix ans séparent ces deux jeux du nouveau Shining Ark prévu l’an prochain. Mais Sega croit manifestement que les futurs clients pourraient confondre les deux titres (notamment Ark et Holy Ark) et penser que les graphismes du nouveau Shining sont vieillots.
L’attitude de Sega est incompréhensible et surtout très néfaste. En s’en prenant à sa communauté de fans, l’entreprise envoie une terrible image d’elle-même. Ces vidéos ne sont pourtant nuisibles ni à Sega ni à la saga Shining. Mieux, elles mettent en avant un jeu plutôt apprécié puisque des joueurs ont choisi de prendre du temps pour en parler, pour filmer leur progression ou pour en faire un test.
L’enthousiasme des fans est d’ailleurs souvent un puissant vecteur de promotion. Le succès de Gangnam Style du chanteur sud-coréen PSY a profité d’un certain laxisme, comme le rapporte la Gazette de Séoul. « La plupart des labels coréens ont très vite adopté une politique très laxiste du respect de leurs droits d’auteur sur YouTube pour adhérer au principe de partage gratuit qui y prévaut«
« Ils ont ainsi laissé se propager, voire même encouragé les copies, les reprises parodiques, les remix, afin de privilégier la valeur de la star plutôt que celle de ses chansons: politique sans laquelle le buzz incroyable de Gangnam Style n’aurait peut-être pas vu le jour« , poursuit l’auteur. Ce qui importe, c’est de capter la valeur là où elle se trouve, quitte à faire preuve de souplesse.
« À l’ère du numérique, la valeur ne résidait plus dans les millions de copies, qu’elles soient sous la forme d’un CD ou d’un fichier électronique, d’un même album, mais dans la création de stars capables de capter puis entretenir une relation privilégiée avec une communauté de fans« . Cela ne veut pas dire que les labels sud-coréens acceptent le piratage ; mais une distinction est opérée.
Sous le régime actuel du droit d’auteur, l’exploitation d’une œuvre est interdite sans l’autorisation de ses ayants droit. Certes, des exceptions existent afin de modérer la portée des restrictions du droit d’auteur et protéger l’accès du public à la culture et à l’information. Ce mécanisme est proche du concept d’utilisation équitable (fair use), qui est une exception au copyright anglo-saxon.
Ces exceptions permettent ainsi au public de jouir d’une œuvre, sous certaines conditions, sans demander au préalable l’autorisation à ses ayants droit. Ainsi, il est permis aux usagers de la reproduire dans le cadre d’un usage privé, d’en citer des extraits à des fins illustratives ou explicatives, ou encore de la détourner selon les règles du pastiche, de la parodie ou de la caricature.
Si elles sont là pour assouplir le droit d’auteur, ces exceptions se trouvent pourtant dans une zone floue. Un ayant droit confronté à la reproduction ou la représentation d’une partie de son œuvre peut l’inciter à en demander le retrait. Et cela, même si la diffusion publique de ladite œuvre répond manifestement aux exigences de l’exception au droit d’auteur.
À l’origine destiné à protéger les artistes des puissants, le droit d’auteur est appelé à se transformer pour protéger cette fois le public des dérives des ayants droit. Il ne s’agit nullement de le supprimer, mais d’éviter d’en faire un moyen de coercition qui va trop à l’encontre des droits du public. Car cette affaire ne peut que cliver davantage et alimenter un ressentiment déjà fort développé.
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