En désactivant par défaut la publicité affichée sur les sites internet, Free démontre le pouvoir que peuvent avoir les FAI sur le contenu des sites internet, et le risque démocratique qu'ils représentent.

Il y a plusieurs façons de regarder la décision de Free de bloquer par défaut les publicités affichées sur Internet. La première, comme a été notre première réaction, est de pointer du doigt l'irresponsabilité économique de Free, qui pénalise des milliers de sites internet qui ne vivent que (ou en grande partie) grâce à la publicité. C'est le cas de Numerama, qui est donc juge et partie dans cette affaire.

La réponse à ce problème est à la fois simple et très complexe. Les sites concernés peuvent se lancer dans un jeu du chat et de la souris avec Free pour tenter d'échapper au filtrage, ou changer de modèle économique. Ce qui n'est pas sans conséquence. Même si Numerama devenait payant, et même à considérer que nous rassemblions suffisamment d'abonnés pour être rentables, il ne faut pas oublier que la publicité a l'avantage d'offrir un accès gratuit à tous. A ceux qui peuvent se permettre un abonnement payant comme aux autres. Et que par ailleurs, les internautes ne pourront pas multiplier les abonnements à différents sites. La gratuité d'accès ne peut être obtenue que par deux biais : la publicité, ou une forme de licence globale.

Mais dépassons ce seul problème économique. Il faut regarder la décision de Free comme un précédent démocratique incroyablement dangereux. D'où notre conclusion incomprise sur l'article précédent : "Du jamais vu. Même en Chine".

Free montre le pouvoir extraordinaire des fournisseurs d'accès à internet sur l'information, qui peuvent décider d'altérer le contenu d'un site internet. Il a décidé de bloquer la publicité en ligne (par DNS, ce qui représente un risque de surblocage), mais il pourra décider demain de bloquer l'accès aux sites pornographiques, aux sites qui proposent des jeux vidéo violents, aux sites "terroristes", aux sites e-commerce étrangers qui ne respecteraient pas la législation française, aux sites qu'il considère diffamatoire, etc., Il pourra non seulement bloquer ces sites, mais aussi modifier ou bloquer une partie de leur contenu, sans que l'internaute le sache.

Par ailleurs la liste des sites ou serveurs filtrés est gérée de façon discrétionnaire par le FAI, et le FAI sait (ou peut savoir) qui choisit de désactiver le filtrage, ce qui en fait un suspect par défaut.

La décision de Free montre à quel point la nécessité d'une régulation stricte des fournisseurs d'accès est primordiale, pour faire respecter la neutralité du réseau et rejeter toute intrusion du FAI dans le contenu affiché. En cela, Free rend un grand service à Internet, à condition que les pouvoirs publics prennent toute l'ampleur du problème.

Enfin, il est faux de comparer le filtrage imposé par défaut par Free au plugin AdBlock. Ce dernier est choisi par l'internaute, ne s'applique que sur l'appareil où il est installé, et peut être configuré pour épargner tel ou tel site, ou telle régie publicitaire. L'internaute reste maître de son filtrage. Là, Free a décidé sans prévenir personne d'activer par défaut un filtrage qui n'est en rien paramétrable. Des millions d'abonnés seront concernés, et seule une toute petite poignée saura qu'il est possible de désactiver le filtrage.

Espérons que Free saura revenir à la raison. Et rapidement.

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