Aurélie Filippetti prétend que les géants du commerce électronique qui échappent au régime fiscal français sont responsables de la faillite de Virgin Megastore. Une grosse ficelle qui évite de regarder l'essentiel.

Donnedieu de Vabres, Albanel, Mitterrand, et maintenant Filippetti… C'est à se demander s'il ne faut pas passer un diplôme de mauvaise foi anti-internet pour devenir ministre de la Culture. Mercredi, Aurélie Filippetti a accusé les "géants de l'e-commerce" d'être responsable du dépôt de bilan des magasins Virgin Megastore. Selon elle, ils ont été "soumis à une véritable révolution et à une concurrence déloyale qui est le fait, il faut bien le dire, de certaines grandes entreprises de type Amazon", qui ne sont "pas soumises à la même fiscalité que les entreprises localisées physiquement en France".

Certes, cela change des discours qui accusent les internautes, à l'instar de Pascal Obispo qui a une nouvelle fois jugé que le piratage était seul responsable de la faillite de Virgin Megastore. Mais c'est tout aussi faux, et le discours n'est tenu que par pur opportunisme. Il doit en effet soutenir les futures propositions du futur rapport Collin & Colin, qui proposera dans quelques semaines de nouvelles règles de fiscalité pour l'économie numérique. Certaines d'entre elles seront très certainement bienvenues, et en particulier celles qui chercheront à s'attaquer aux montages financiers permettant à Amazon, Google, Apple ou encore Microsoft d'échapper à une grande partie de l'imposition en France ; mais l'accusation n'en est pas moins fausse.

Virgin Megastore avait lui-même prédit sa mort dès 2005. Et à l'époque la direction ne pointait pas du doigt Amazon, mais les majors de l'industrie du disque dont Aurélie Filippetti ne dit pas un mot. Rappelons ce que nous écrivions à l'époque (nous ajoutons les mises en gras) :

A première vue, tout va bien pour VirginMega.fr. Tous les mois, la plateforme enregistre environ 30% de croissance, avec en février près de 300.000 morceaux de musique vendus. Selon les observations de Nielsen / Net Ratings, VirginMega.fr serait même le leader français en terme de nombre de visiteurs, sa part de marché étant estimée par Virgin à 35% contre 31% pour l'iTunes Music Store d'Apple.  

Mais sur un morceau vendu 0,99 euros TTC, VirginMega.fr ne reçoit qu'un tout petit centime. 0,01 euro pour la plateforme, quand 70 centimes vont aux majors. Depuis mai 2004, la plateforme a bien vendu environ 1 million de titres… mais pour une marge brute de 10.000 euros seulement. A titre de comparaison, la société a investi en 2004 plus de 3 millions pour se faire connaître, à travers des campagnes de pub en ligne et hors-ligne.

Le président de VirginMega.fr est réaliste. "Ce modèle économique ne fonctionne pas", consent-il volontiers. Pour Jean-Noël Reinhard, des marges si faibles ne peuvent contenter que ceux qui, à l'instar d'Apple, se servent de la musique en ligne pour vendre autre chose de plus rentable (typiquement, l'iPod). En exigeant 70 centimes par morceau, "les majors proposent un modèle en ligne destiné à ceux qui ne vivent pas de la musique", et se mettraient ainsi elles-mêmes en position de "devenir otages de l'informatique et des télécoms".

Virgin Megastore n'est donc pas mort par concurrence déloyale de nature fiscale, mais parce qu'il a eu le tort de ne pas faire évoluer sa proposition commerciale alors qu'il savait il y a déjà 8 ans que la musique en ligne ne lui rapporterait rien. Non pas à cause du piratage, mais à cause des majors de l'industrie musicale qui ont imposé des conditions tarifaires que seuls Amazon, Apple ou quelques autres arrivaient à encaisser, parce que la vente de musique n'était qu'un service accessoire à une offre beaucoup plus globale. Même avec un taux de TVA beaucoup plus faible, Virgin n'aurait jamais réussi à rentabiliser son offre.

Il serait bon que la ministre de la Culture réalise elle aussi que vendre de la musique n'est pas rentable. Et qu'il faut donc avoir le courage de proposer un véritable changement de modèle économique. Changer de modèle fiscal n'y changera rien.

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