L'encadrement plus strict de la liberté d'expression sur Internet semble devenir un sujet de préoccupation important du gouvernement. Ce matin, nous rapportions qu'un groupe de parlementaires avait formé, avec l'appui du Gouvernement, le souhait de modifier les dispositions de la loi de 1881 sur les délits de presse, pour allonger les délais de prescription et obliger chaque publication, y compris les blogueurs anonymes, à désigner une personne responsable de leurs propos.
Dans le même temps, au Sénat, le ministre de l'intérieur Manuel Valls a répondu à une question de la sénatrice Nathalie Goulet, sur les "abus de la liberté d'expression". Plus exactement, l'élue centriste de l'Orne demandait au ministre ce qu'il comptait faire contre "un certain nombre de « chansons » – si l’on peut dire – de rappeurs tels que 113, Sniper, Salif, Ministère Amer, Smala ou encore Lunatic, dont les paroles sont d’une violence absolument inouïe contre la France, ses autorités civiles et militaires, son drapeau". Mme Goulet s'indignait de ce que les chansons en question soient "en vente libre et sont diffusées sur toutes les radios", alors que "leurs paroles sont des appels à la violence et à la haine envers les autorités de police".
En réponse, tout en signalant que "le rap fait partie de notre culture urbaine" et en affirmant qu'il ne souhaitait pas "mettre en cause la liberté d'expression et la créativité", Manuel Valls a estimé qu'il fallait "lutter contre les paroles agressives à l'encontre des autorités ou insultantes pour les forces de l'ordre et les symboles de notre République".
"Mes services sont mobilisés face à ce phénomène qui dépasse, bien sûr, le seul support du disque ou du livre et s'exprime de plus en plus sur internet", a-t-il pris la peine d'ajouter. Le ministre de l'intérieur constate que "les productions que vous avez mentionnées ont été mises à la disposition du public il y a plus de trois mois", et sont donc prescrites, ce qui "appelle incontestablement une réflexion tant la presse dématérialisée sur internet a évolué".
39 "provocations à la désobéissance" recensées sur Internet en 2012
Sous Nicolas Sarkozy, le rap avait déjà fait l'objet de demandes de censure. L'ancienne secrétaire d'Etat Valérie Létard avait demandé que la chanson "sale pute" d'Orelsan soit supprimée d'Internet, tandis que le ministère de la Culture avait invité les maisons de disques à censurer leurs artistes. Le député UMP Michel Raison, lui, avait provoqué une vive réaction en stigmatisant les "chansons écrites par certains groupes de musique rap issus de l'immigration".
Dans sa réponse, Manuel Valls souligne que la plateforme Pharos, qui recueille les signalements d'infractions sur Internet en France, a recensé l'an dernier "61 outrages à personnes chargées d'un service public ou dépositaires de l'ordre public", ce qui paraît toutefois faible au regard des quelques 22 millions d'abonnés à internet en France. Le ministre de l'intérieur évoque par ailleurs "39 provocations à la désobéissance", sans plus de précision. Or cette expression n'existe, à notre connaissance, que dans le code de justice militaire, dont l'article L332-1 dit que le fait, "en temps de guerre, de provoquer à la désobéissance, par quelque moyen de que ce soit, des militaires ou des assujettis affectés à toute forme de service national, est puni de 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d'amende". Mais la France n'était pas officiellement "en temps de guerre" en 2012.
"Les paroles de ces chansons non seulement s'en prennent aux symboles de la Républiques et aux forces de l'ordre, mais aussi donnent souvent une image dégradée de la place de la femme au sein de la société", a condamné Manuel Valls. "Soyez assurée, madame la sénatrice, qu'avec les moyens qui sont les nôtres, en nous appuyant notamment sur la justice, nous ne faiblirons pas dans cette lutte".
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