Mardi soir, le Conseil National du Numérique (CNNum) organisait à la Cantine numérique de Paris une réunion de débat autour de son récent avis sur la neutralité du net, qui propose d'instaurer dans la loi un simple principe général de "conditions non-discriminatoires, équitables et transparentes" dans le transport des informations, que devraient faire prendre en compte les juges. L'objectif principal de la réunion était de passer à une étape plus concrète de proposition législative ou réglementaire, et de voir les pistes qu'il reste encore possible d'explorer après un avis jugé beaucoup trop timoré par une grande partie des observateurs.
Dans les prochains jours, le Conseil National du Numérique va s'auto-saisir pour approfondir deux sujets complémentaires abordés dans son avis, l'un sur les "grandes infrastructures de services d'accès", qui visera à établir les responsabilités des plateformes comme Google, Facebook, l'App Store ou Amazon, dont l'utilisation massive fait peser sur eux une "quasi mission de service public". L'autre sur la liberté d'expression, qui rappellera aux bons souvenirs du gouvernement la promesse de François Hollande d'instaurer un véritable "Habeas Corpus numérique" pour protéger les droits des internautes.
Sur ce point, le porte-parole du FAI associatif French Data Network (FDN), l'incontournable Benjamin Bayart, s'est montré le plus déterminé. "Une loi de déclaration de principe, ça ne sert jamais à rien", a-t-il critiqué d'emblée. "Il faut définir des délits. Qu'il y ait une définition du principe de neutralité des réseaux qui soit posée dans un code ou dans un autre, que ce soit de niveau constitutionnel ou en dessous… c'est joli, c'est décoratif, mais ça ne devient efficace qu'à partir du moment où l'on définit un délit et une sanction".
Le think tank Terra Nova, que l'on présente souvent comme le laboratoire d'idées du Parti Socialiste, élaborerait une proposition dans ce sens.
"Les libertés fondamentales, c'est protégé par le code pénal"
"L'approche qui était demandée au CNNum par le gouvernement n'était pas une approche économique mais celle des libertés fondamentales", a-t-il rappelé. Or, "les libertés fondamentales ça n'est pas protégé par le code des postes et communications électroniques, c'est protégé par le code pénal. C'est comme ça. Porter atteinte aux libertés fondamentales, porter atteintes aux libertés accordées par la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, c'est condamné et c'est protégé par le code pénal. La seule des libertés fondamentales qui n'est pas protégée par le code pénal aujourd'hui, c'est la liberté d'expression".
En effet, la loi pénale, notamment la loi de 1881 sur la liberté de la presse, prévoit bien de condamner les "abus de liberté d'expression" comme la diffamation, l'incitation à la violence, la publication de propos homophobes ou xénophobes… mais ne prévoit rien en symétrie pour condamner ceux qui empêchent l'expression d'opinions légitimes.
"Rien ne m'interdit en tant que fournisseur d'accès à internet de filtrer le site de l'UMP", assure Benjamin Bayart. "Il ne m'arrivera rien. Ils ne pourront pas porter plainte pour la perte de chiffre d'affaires, ne pourront pas porter plainte sur la base de la loi de 1881 puisqu'ils ne sont pas un organe de presse, rien ne m'en empêche".
"Il faut définir un délit et des sanctions. La censure de droit privé de propos publics, ça doit être un délit. Porter atteinte à la liberté d'expression de quelqu'un ça doit être un délit".
"La question ne se posait pas avant internet. Au siècle dernier, du temps des linotypes, la liberté de la presse équivalait à ce que l'on pouvait avoir en terme de liberté d'expression. Ce n'est plus vrai avec l'apparition d'internet".
"A l'heure actuelle, ce à quoi Free joue avec Google et YouTube, c'est du droit du commerce. On saurait le traiter avec le droit de la concurrence actuelle, si la DGCCRF avait les moyens de faire son boulot. Orange qui favorise Dailymotion contre YouTube, c'est du droit du commerce, c'est de la concurrence libre et non faussée, il y a tout ce qu'il faut comme textes européens sur ça".
Mais "la question fondamentale pour moi, ça n'est pas le tort économique que Free fait à YouTube, c'est le tort que Free fait à ses clients en tant qu'il les empêche d'accéder à une information, ce qui est une liberté fondamentale garantie par la Déclaration des droits de l'Homme depuis 1789 et qui n'est pas protégée en droit français. Le problème de fond est là".
Un propos plein de bon sens au moment où Xavier Niel prétend, au contraire, que YouTube est très lent pour le bien des abonnés de Free. Le principe d'une pénalisation de l'atteinte à la liberté d'expression aurait par ailleurs une portée beaucoup plus large qu'à l'encontre des fournisseurs d'accès, en s'attaquant y compris par exemple à la censure imposée par Apple sur son App Store, ou à la suppression abusive de contenus pour de prétendues violations de droits d'auteur qui n'en sont pas.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !