Emballé, c'est pesé. Depuis que Pierre Lescure a rendu son rapport le 13 mai dernier, tout se passe comme si l'issue ne faisait aucun doute. Comme si les conclusions du rapport réalisé après des mois d'auditions ne pouvaient qu'aboutir au vote d'une loi fidèle aux propositions émises par l'ancien président de Canal+. En particulier, il paraît acquis que le CSA héritera des fonctions de la Hadopi, et fera pire encore que la situation actuelle. Aux fantasmes irréels de la suspension de l'accès à internet sera substituée une bien réelle amende administrative, façon radars routiers. Ceux qui ont le malheur de partager la culture recevront une amende de 60 euros, voire de 1500 euros en cas de récidives.
La chose est tellement entendue qu'il est déjà question de muter les agents de l'Hadopi dédiés à la riposte graduée vers le CSA (si tant est que ça soit possible juridiquement), pour opérer la transition au plus vite, sans perte de compétences humaines.
Mais des obstacles encore peu visibles se dressent sur la route du gouvernement. L'on entend en effet croître, ces derniers jours, les rumeurs d'une fronde parlementaire en préparation. Elle serait menée par Patrick Bloche, l'un des mousquetaires socialistes qui avaient combattu les lois DADVSI et HADOPI, et qui préside désormais la puissante commission des affaires culturelles de l'Assemblée Nationale.
Comment les Socialistes, qui s'étaient opposés aux amendes lors des débats Hadopi, pourraient-ils, une fois au pouvoir, les proposer dans leur propre loi ?
A la minute-même où Pierre Lescure et Aurélie Filippetti se présentaient de concert devant la presse, Patrick Bloche publiait dans ce sens un communiqué pour critiquer le rapport Lescure dans son volet Hadopi. Le député socialiste, que l'on présente comme un candidat au poste de ministre de la Culture (en concurrence avec Najat Vallaud-Belkacem), avait expliqué s'interroger sur "le simple allègement du dispositif de réponse graduée là où il aurait souhaité, compte tenu de son inutilité, sa suppression". Le message était court, mais clair. D'autant que le texte qui sera présenté aux députés sera celui issu de la commission présidée par Patrick Bloche, et non pas celui du gouvernement.
Abroger la riposte graduée, purement et simplement
Or lors de la présentation de la grande loi audiovisuelle qui doit régler le sort de l'Hadopi, une quantité non négligeable de députés pourraient rejoindre les rangs de l'influent Patrick Bloche, pour faire obstacle à la prorogation du dispositif de riposte graduée. Ils y voient là l'occasion non seulement de rester fidèles aux promesses faites à de nombreux électeurs pendant la campagne, mais aussi de manifester bruyamment leur mécontentement à l'égard du gouvernement, sur un texte jugé tout aussi symbolique qu'accessoire. Ils seront par ailleurs aidés de circonstance par les députés UMP, qui pourraient refuser la loi Filippetti en trouvant prétexte notamment dans la suppression de l'autorité administrative indépendante qu'ils avaient créé. Ensemble, une majorité pourrait se dégager.
De plus, même l'industrie culturelle pourrait trouver avantage à voir le gouvernement reculer, puisque le rapport Lescure propose une gestion collective des droits voisins que refusent les maisons de disques. La proposition avait déjà été faite avec le rapport Zelnik, et les lobbys avaient eu sa peau.
"Beaucoup de députés qui ne se reconnaissent pas dans la politique menée par Hollande et Ayrault rongent leur frein depuis un an", nous confirme un proche du Parti Socialiste. "Le gouvernement est affaibli dans l'opinion et ils n'auront pas un Nicolas Sarkozy pour prendre les choses en main en faveur des ayants droit", ajoute-t-il, en référence à l'opération menée en 2006 par celui qui n'était pas encore chef de l'Etat, après le coup opéré contre la loi DADVSI. A l'époque, une union sacrée entre les socialistes et quelques UMP avait abouti au vote surprise de la licence globale, enterrée quelques mois plus tard.
Nos confrères d'Electron Libre vont jusqu'à dire que la licence globale pourrait de nouveau être proposée, voire adoptée. Selon nos informations néanmoins, rien n'est prêt pour appuyer techniquement l'idée d'une telle révolution juridique, et la fronde pourrait se limiter à anéantir la riposte graduée, ou à tout le moins à la laisser dans les mains d'une Hadopi dont le budget baisserait d'année en année, jusqu'à la mort. Dans ses récentes interventions, y compris devant Pierre Lescure, Patrick Bloche n'a d'ailleurs jamais plus reparlé de licence globale.
En supprimant la riposte graduée, le téléchargement et le partage sur les réseaux P2P serait légalisé de fait, mais pas en droit. En contrepartie, les industries culturelles conserveraient le bénéfice de la double taxe sur la copie privée et sur les appareils connectés proposée par Pierre Lescure. Et surtout, les Socialistes ne seraient pas opposés à une autre proposition-phare de la mission Lescure : renforcer la lutte contre les sites de streaming et de téléchargement direct, par le renforcement de la "coopération" des intermédiaires techniques (FAI, hébergeurs, moteurs de recherche…).
Si elle sent le vent tourner, Aurélie Filippetti pourrait quant à elle décider de jouer la montre et de ne pas présenter son texte devant l'Assemblée, en attendant le remaniement ministériel et les élections municipales. Dans ce cas, l'Hadopi pourrait être sauvée. Ce qui serait, sans doute, un moindre mal.
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