La semaine dernière, le ministre de l'intérieur Manuel Valls confiait dans un entretien à Libération qu'il voulait intensifier la lutte contre le terrorisme sur Internet, par une surveillance accrue du réseau des réseaux. "Internet est devenu un vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement pour le terrorisme d'inspiration djihadiste", affirmait-il. Il ajoutait, pour justifier l'octroi de nouveaux moyens et de nouvelles facilités juridiques à venir, que "Internet est un moyen discret de communication qui laisse toutefois des traces exploitables par les services spécialisés".
Au même moment était déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale le rapport de la commission d'enquête sur les services de renseignement (.pdf), qui vient d'être publié. Voulue par les écologistes, la commission s'intéressait plus spécifiquement au fonctionnement des services "dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés", essentiellement islamistes. Or le rapport souligne le rôle clé qu'aurait désormais Internet dans le développement des nouvelles formes de terrorisme, où les groupes criminels sont composés d'individus qui n'ont que peu de liens de proximité physique entre eux, et dans sa prévention.
Ainsi "à l’heure actuelle la totalité des affaires d’associations de malfaiteurs terroristes comporte des preuves acquises sur internet", et "parmi ces affaires, 80 % d’entre elles sont même exclusivement déferrées devant la Justice grâce à ce type de preuves", écrit le rapporteur socialiste Jean-Jacques Urvoas, spécialiste des questions de sécurité intérieur. L'actualité récente le montre encore, puisqu'à Marignane, les trois "djihadistes présumés" arrêtés avant tout passage à l'acte avaient été repérés pour partie par leur apologie du djihadisme sur Facebook, et grâce à un e-mail envoyé à la Maison Blanche.
"Face à la diversité des profils terroristes auxquels les services sont confrontés, internet demeure un facteur déterminant : c’est probablement, avec le passage au sein d’un établissement pénitentiaire, le seul dénominateur commun aux terroristes agissant sur le sol français", souligne la commission d'enquête.
Comme dans beaucoup de domaines, Internet a eu aussi à l'égard de la propagande terroriste un effet de désintermédiation qui expliquerait la mutation du terrorisme et sa radicalisation. Chacun peut créer un prétendu "groupe" qui n'a au départ que peu de membres et d'influence, et gagner progressivement de l'importance en tenant un discours radical, avec des modes d'expression directe qui réduisent la pensée théorique à la portion congrue. "La diffusion en ligne permet de contourner l’obstacle de la validation religieuse", explique ainsi l'universitaire Jean-Pierre Filiu. N'importe qui peut se faire "autorité religieuse" et se faire entendre sans l'aval des pairs, en utilisant Internet comme mode inédit de médiatisation.
"Internet ayant diffusé dans toute la société, il n’est plus besoin du prêche enflammé d’un imam dans une mosquée salafiste" pour recruter de nouveaux intégristes, fait remarquer le juge anti-terroriste Jean-Marc Trévidic. "Tous nos jeunes [mis en cause] sont embrigadés par le biais de l’internet – y compris des mineurs, ce que je n’avais jamais vu auparavant. En l’espace de six mois, cinq ou six mineurs ont été déférés" au pôle anti-terroriste de Paris.
Alors qu'il fallait autrefois faire la démarche active d'aller sur des sites djihadistes pour être confronté à ces préceptes, l'utilisation de plus en plus courante des réseaux sociaux (en mode privé ou semi-privé) permet aux islamistes de recruter de nouveaux profils discrètement, et très efficacement. Facebook a par ailleurs l'avantage de noyer les terroristes en herbe dans une masse de millions d'internautes, alors que la surveillance des blogs et forums spécialisés permettait d'isoler plus facilement leurs quelques visiteurs et participants.
Mais comment lutter contre la propagandiste sur Internet ?
Alors que les sites dits "terroristes" fournissent des informations pratiques sur la manière de procéder à des attentats ou des assassinats, ou de communiquer en chiffrant les communications, pour le moment les autorités préfèrent l'observation préventive à la censure, que les policiers savent inefficace, voire même contre-productive. "Beaucoup de services de renseignement préfèrent que les sites restent ouverts car c’est ainsi qu’ils s’informent", explique ainsi le juge Trévidic. "Il est vrai qu’en matière de radicalisme islamiste, la presque totalité des preuves a été obtenue par la surveillance de l’internet. C’est pourquoi les services de renseignement ne veulent pas se couper de cet outil de surveillance – qui est dans le même temps un outil de propagande et de propagation du mal".
L'observation d'Internet serait d'autant plus nécessaire que les plus radicaux des islamistes mettraient en oeuvre dans leur vie quotidienne la Taqîya, un précepte qui autorise les musulmans à masquer leur appartenance religieuse, voire à adopter publiquement des comportements contraires, pour fuir la répression. Or une fois chez eux, sur Internet, ces individus se dévoilent par les quelques "traces" qu'ils manifestent de leurs centres d'intérêts. "C’est pourquoi il importe de renforcer considérablement les moyens techniques dédiés à la surveillance d’internet et à la détection automatisée de ces signaux faibles", affirme la commission d'enquête, sans préciser les moyens qui pourraient être déployés.
"Sur la planète internet, la menace n’est pas virtuelle", témoigne un membre du syndicat de policiers Synergie Officiers. "En 2011, la DCRI (Direction Centrale de la Sécurité Intérieure, nldr) a procédé à une quarantaine d’arrestations, en 2012, à deux fois plus ; il est permis d’imaginer qu’on assistera en 2013 à une explosion du phénomène".
Pour la faciliter, la commission d'enquête a demandé au Gouvernement de "relever significativement" le contingent actuel des interceptions de sécurité, qui permettent à l'Etat de procéder à des écoutes sans le contrôle d'un juge. Actuellement, les ministères de la Défense, du Budget et de l'Intérieur doivent se partager les écoutes administratives de 1840 individus maximum, ce qui est jugé insuffisant.
Sur une année, entre le 1er août 2011 et le 31 juillet 2012, pas moins de 197 000 demandes de "fadettes" ont été formulées en vertu de l'article L244-2 du code de la sécurité intérieure, qui autorise les services de renseignement à demander les données de connexion et les factures détaillées des abonnés aux opérateurs télécoms. Or, "l’écoute de la teneur des conversations des individus suspectés de terrorisme, lesquels sont par définition méfiants et prudents lorsqu’ils communiquent entre eux, est moins intéressante d’un point de vue opérationnel que le recueil des " données techniques " de ces communications", expliquait dès 2007 la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS).
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