Mardi, Numerama révélait que le photographe Gaston Bergeret avait porté plainte contre les Restaurants du Coeur pour lui demander de cesser toute exploitation de sa photographie de Coluche, utilisée depuis 27 ans par les Restos. Nous rappelions ce matin que la photographie était un don fait à l'humoriste et à son association, qui n'avait coûté au photographe que 10 secondes de son temps — ce que beaucoup ont interprété à tort comme un jugement de notre part sur la valeur de l'oeuvre, alors qu'il s'agissait uniquement de dire que l'artiste n'a rien perdu à faire ce don, et qu'il n'y a donc pas de préjudice à indemniser.
Mais Gaston Bergeret s'est expliqué dans Libération, et apporte certains arguments que l'on peut entendre. D'autres moins.
Ainsi, l'artiste défend son droit moral, dont la loi dit qu'il est incessible et imprescriptible. C'est le respect dû à l'oeuvre et à son auteur qui est bafoué. "Ma photographie est totalement défigurée et de la manière la plus hideuse", se plaint-il, constatant par exemple que lors du dernier spectacle des Enfoirés le 15 mars 2013, "la photographie que j’ai réalisée est affublée d’une moustache, sans aucun lien avec l’activité des Restos du cœur". Par ailleurs, il reproche un grand nombre d'exploitations faites "le plus souvent sans mon nom ou une quelconque indication permettant de m’identifier comme étant l’auteur de cette photographie".
Tous ces arguments sont incontestablement recevables, puisque même les oeuvres du domaine public bénéficient d'un droit moral qui ne prive que rarement les utilisateurs de leurs libertés (sauf à l'encontre d'artistes qui veulent détourner les oeuvres de leurs défunts aînés, et dont les ayants droits estiment qu'il y a profanation).
Mais parler des droits moraux est une tactique bien connue des avocats spécialisés en droit d'auteur, pour gonfler la note. Il n'y a pas le droit d'accepter contre rémunération la violation d'un droit moral de l'auteur, mais rien ne s'oppose à en demander réparation. Le photographe dit bien, d'ailleurs, qu'il faut "se rapprocher de mon conseil pour préciser les conditions de mon indemnisation".
Une critique mal fondée de l'exploitation commerciale
Par ailleurs, l'artiste se plaint de l'exploitation commerciale faite de son cliché, ce qui place le débat à un autre niveau. "Mon travail est utilisé sur des supports pour lesquels je n’ai jamais été consulté (tee-shirts, tickets-restaurant, DVD, etc.) et par des tiers exploitants dont le choix a été fait sans que l’on me demande quoi que ce soit (commerce de tee-shirts Eleven, TF1, Universal Music France, Sony Music Entertainment France, RTL, etc.)", attaque-t-il.
"Les exploitants que j’ai cités ont très largement bénéficié de ma photographie, et bénéficient à leur tour de recettes considérables, et d’une publicité institutionnelle considérable (exemple : avec plus de 50% de parts d’audience, les trente secondes de publicité coûtent 130 000 euros lors de la retransmission du spectacle des Enfoirés sur TF1)".
Cependant, il ne s'agit pas là d'un problème de droits d'auteur. Le fait que TF1, Universal, Eleven Paris ou d'autres exploitent le cliché à des fins commerciales, à leurs propres profits, ne serait pas moins critiquable s'ils permettaient à Gaston Bergeret de s'en enrichir également, en lui versant des droits d'auteur. A aucun moment, d'ailleurs, il ne propose de reverser ces droits à l'association.
Le problème n'est pas l'exploitation commerciale en elle-même, mais le fait que ces entreprises ne reversent pas l'intégralité des bénéfices à l'association pour laquelle le cliché exploité a été dédié. La volonté de Coluche était que son image serve l'association, et toute exploitation commerciale qui profite in fine à l'association, et à elle-seule, est acceptable. Voire souhaitable.
On peut toutefois se féliciter de ce que l'artiste fasse en partie demi-tour et affirme aujourd'hui qu'il "continue à autoriser gratuitement l’association des Restos du cœur à utiliser ma photographie sans modification et créditée sur les lieux de distribution de repas". "C’était mon engagement initial et je m’y tiens".
Ce serait encore mieux, peut-être, s'il autorisait toute exploitation de son cliché, à condition que les exploitants reversent l'intégralité de leurs bénéfices à l'association. Ce n'était peut-être pas l'engagement initial mais c'était, croit-on comprendre, la volonté de Coluche.
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