Ce lundi s'ouvre au Sénat la discussion sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, présenté par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. A cette occasion, les sénateurs devraient renforcer les cas dans lesquels les intermédiaires techniques devront intervenir pour supprimer des propos sur leurs plateformes, sans attendre qu'ils soient jugés "illicites" par un tribunal.
Actuellement, comme le rappelle La Quadrature du Net dans un communiqué qui alerte sur l'élargissement du dispositif, la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) fait obligation aux hébergeurs de "mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance" des contenus pouvant constituer trois types d'infractions pénales : apologie des crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale et pornographie enfantine.
Ils doivent alors alerter les autorités des propos qui leur sont signalés par ce biais, et surtout les censurer immédiatement pour éviter d'engager leur propre responsabilité. En effet, l'article 6.I.2 de la LCEN dispose que les hébergeurs (au sens large) ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée "du fait des activités ou des informations stockées (…) si (ils) n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite", ce qui implique, a contrario, que leur responsabilité est engagée s'ils n'agissent pas "promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible" dès qu'ils en sont notifiés.
Le "sexisme" est-il l'expression d'une "haine à l'égard des femmes" ?
Par le biais d'un amendement adopté en commission, déposé par la sénatrice Catherine Tasca, le projet de loi pour l'égalité hommes-femmes prévoit de compléter la liste des infractions qui doivent faire l'objet d'un dispositif de notification "facilement accessible et visible". Outre l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale et la pornographie enfantine, le texte demande que le dispositif vise également "la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap". Rien que de très légitime.
Mais en début d'année, Mme Vallaud-Belkacem avait démontré une interprétation très large de la "haine à raison du sexe", en souhaitant bannir le "sexisme" sur Internet. Or toute la perversité du dispositif de la LCEN est que l'interprétation de la loi n'est plus laissée à l'appréciation du juge, mais à celle des intermédiaires techniques privés qui ont tout intérêt à censurer par précaution, pour éviter d'engager leur responsabilité.
Tout en jugeant la préoccupation des sénateurs "légitime", la Quadrature du Net s'inquiète donc d'y voir un "Cheval de Troie de la censure du net".
"Cet élargissement des fonctions de police et de justice privée qui incombent aux hébergeurs est précisément ce que réclament depuis des années les industries du divertissement pour mener leur guerre contre le partage de la culture sur Internet", condamne l'association. "En ouvrant une telle brèche, le Sénat laisserait le champ libre à d'autres élargissements ultérieurs, alors qu'au contraire, la LCEN peut et doit être modifiée pour mieux protéger la liberté d'expression et le droit au procès équitable."
"Quelque soit la légitimité des causes auxquelles prétendent s'attaquer ces dispositions, elles ne peuvent donner lieu qu'à des dérives inacceptables, notamment à cause de leurs larges possibilités d'interprétation et du manque de moyens de nombreux petits hébergeurs pour faire face à ces nouvelles obligations. Si le gouvernement Ayrault et le Parlement souhaitent réellement agir dans ces domaines tout en se montrant respectueux de l'État de droit, ils devraient réformer la LCEN pour mettre à fin à l'extra-judiciarisation de la censure sur Internet et œuvrer au renforcement des moyens d'action de la justice et à la poursuite des auteurs de ces infractions."
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