Elles étaient attendues depuis ce printemps, mais c'est finalement ce mardi qu'elles ont été publiées. Après plusieurs mois de silence, les explications de Manuel Valls sur l'affaire DCRI / Wikipédia sont désormais connues. Dans un exercice de dédramatisation, le ministre de l'Intérieur considère que tout s'est déroulé dans les règles de l'art : le droit a été appliqué et jamais la liberté d'expression n'a été menacée.
Il faut remonter dans le temps pour comprendre de quoi il est question. Jusqu'au début du mois d'avril, personne ou presque ne connaissait la page Wikipédia consacrée à la station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute. L'article, plutôt bien détaillé mais dénué de sources fiables, ne recevait pratiquement aucune visite. Sa dernière modification remontait au 22 juillet 2012.
Bref, l'article n'intéressait pas grand monde, sauf quelques rares connaisseurs (ou services de renseignement étrangers ?) et des internautes se déplaçant au gré des pages. Mais pour la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI), la sécurité nationale était en jeu. Après une démarche infructueuse via le service juridique de la fondation Wikimédia, une autre approche a été adoptée.
La DCRI a identifié un responsable connu de Wikimédia France, en l'occurrence son président. Contacté dans le but d'obtenir la suppression d'un article de Wikipedia, non sans jouer dans le registre de l'intimidation, l'affaire a pris une toute autre tournure : l'article ignoré jusqu'alors est devenu l'un des plus visités pendant plusieurs semaines, a été adapté dans des dizaines d'autres langues et a été complété brillamment.
Ce sont ces faits que les services de Manuel Valls ont d'abord rappelé dans sa réponse. Puis, la place Beauvau livre son point de vue. À ses yeux, "rien dans cette affaire ne saurait s'apparenter à une quelconque atteinte à la liberté d'expression ou à la liberté de la presse, particulièrement protégées en France par le droit national et par le droit européen. Le droit, en l'occurrence le code pénal, a été appliqué".
Si le ministère de l'Intérieur ne le précise pas, il est probable que référence soit faite à l'article 413-10 du code pénal. Celui-ci expose que les atteintes au secret de la défense nationale sont punies de de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende, ou trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende si négligence ou imprudence.
Pour le ministère, cette affaire "particulière" et la réalité des nouvelles technologies doivent conduire à "repenser le cadre de nouveaux équilibres entre l'exigence absolue de respect de la liberté d'information et l'exigence tout aussi absolue de sauvegarde de la sécurité des intérêts fondamentaux de la nation". Mais quid du fait que tous les éléments de la page s'appuient sur des informations publiques ?
Faut-il par exemple rappeler que l'une des sources de l'article s'appuie sur un reportage télévisé d'une chaîne locale ? Et que celui-ci a été effectivement autorisé par l'administration militaire française ? Avant de repenser quoi que ce soit et redéfinir les équilibres entre liberté d'expression et intérêts vitaux, peut-être faudrait-il d'abord réfléchir en amont à ce que l'on dit ou révèle dans un reportage TV.
La réponse s'achève sur un drôle de sous-entendu. "Il convient de plus d'ajouter que les vérifications entreprises n'ont pas permis de déceler la mise en ligne par Wikipédia d'informations aussi détaillées sur les bases américaines que celles présentes sur les bases militaires françaises". Faut-il comprendre que le projet Wikipédia a été noyauté par l'armée américaine pour maquiller les informations les plus sensibles ?
Le ministère de l'Intérieur ne va pas plus loin dans son insinuation, ni sur la manière dont ces vérifications ont été effectuée (quelles bases ? Uniquement sur la Wikipédia francophone ? Sur les autres versions de l'encyclopédie ?). Et surtout, qui les pages Wikipédia constituent-ils vraiment un quelconque risque ? Les agences de renseignement chargées de collecter des informations n'en ont certainement pas besoin.
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