Le scandale des écoutes de la NSA n'a pas encore fait naître, chez les décideurs politiques, le véritable débat politique que la société devra avoir le courage d'affronter : combien de morts vaut la vie privée ? Explications.

Les révélations successives d'Edward Snowden sur les écoutes opérées par la NSA ont montré au monde entier qu'avec les réseaux numériques l'espionnage n'était plus seulement opéré à l'encontre des terroristes ou de ceux suspectés d'activités terroristes, mais à l'encontre de chacun d'entre nous. Tous, de la boulangère au charpentier, du curé à l'ouvrier, du chômeur au patron de PME, tous sont considérés comme de potentiels terroristes en sommeil, dont il convient d'enregistrer l'activité numérique d'aujourd'hui, au cas où elle pourrait servir une enquête demain. 

Utiliser Internet et les réseaux sociaux, c'est l'assurance d'abandonner à l'histoire la notion de vie privée, d'accepter que parce que l'on a "rien à se reprocher", on peut souffrir que ça soit vérifié, constamment. Ne pas utiliser Internet, ne pas participer aux réseaux sociaux, sera bientôt l'assurance de démontrer un comportement anormal suspect, qui justifie d'être surveillé de près. Il n'y a plus d'échappatoire. Il n'y a plus de vie privée. Il n'y a plus que de la sécurité.

C'est bien là, lorsque l'on regarde au delà des traditionnels espionnages d'intelligence économique et diplomatique, le noeud du problème soulevé par les révélations d'Edward Snowden. Il confronte chacun d'entre nous à un choix de société cornélien.

Combien de morts par actions terroristes sommes-nous prêts à accepter pour préserver un modèle de société où la vie privée existe encore ? Zéro, ce qui impose d'être tous surveillés ? Autant qu'il en coûtera ? Où placer le curseur ?

Or cette question-là, fondamentale s'il en est, n'est jamais posée.

Tout est comme si la réponse devait, nécessairement, évidemment, être "zéro". La société actuelle refuse d'accepter le risque de tout ce qui ne lui semble pas relever de la fatalité. Elle s'obsède des 2 292 morts des attentats du 11 septembre 2001, en se disant "plus jamais ça", quoi qu'il en coûte en abandon des valeurs de la société attaquée par les terroristes, et a déjà oublié les 250 000 morts du tsunami de 2004 en Asie, en acceptant qu'elle n'y peut rien. Or "pouvoir" faire quelque chose n'impose pas de "devoir" faire quelque chose, ou en tout cas, la fin ne justifie pas tous les moyens. Peut-être faut-il accepter un degré de fatalité même dans les comportements humains que l'on pense pouvoir contrôler.

Mais la réponse politique aux scandales de la NSA n'est à la hauteur d'un tel débat qui refuse d'être ouvert, alors qu'il est essentiel et le sera de plus en plus. En France, la CNIL exprime sa "réprobation" de la surveillance massive des citoyens, mais se contente de proposer de l'encadrer par des accords internationaux, pas d'aller aussi loin que possible dans l'interdiction. Au niveau européen, la vice-présidente de la Commission Européenne Viviane Reding propose que l'Union Européenne unifie ses grandes oreilles en créant elle-même une  NSA européenne, pour pouvoir espionner au moins autant que les Américains.

Jamais aucun décideur politique ne s'interroge sur la légitimité-même de l'écoute massive des innocents, sur l'impact que peut avoir sur les comportements humains et la psyché la conscience d'être constamment observé, de ne jamais pouvoir fauter. Le train de la surveillance massive est en marche et personne ne semble vouloir tirer l'alarme pour l'arrêter.

Il serait pourtant un comble qu'en voulant combattre le terrorisme, cette société ultra-surveillée fasse que les terroristes apparaissent un jour comme le seul recours contre la surveillance massive.

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