Le virus liberticide de l’UMP ne doit pas » infecter » l’internet !
Le projet de loi sur les droits d’auteur et voisins dans la société de l’information, dit DADVSI organise la surveillance et la répression des usages non criminels de l’Internet et des échanges de fichiers via les technologies dites de peer-to-peer (P2P). Il est soumis à l’examen de la représentation nationale dans des conditions déplorables, abracadabrantesques et probablement inconstitutionnelles.
Alliées pour la circonstance avec Microsoft, des groupes de pressions de l’industrie du disque, soucieux de perpétuer leurs rentes de situation, tentent d’imposer en France des technologies et des usages qui ont cours dans des pays où la notion même des droits de l’Homme est bafouée chaque jour. Cet activisme, n’en doutons pas, menace les libertés publiques de dizaines de millions de Français.
Nicolas Sarkozy a fait savoir à l’industrie musicale qu’il voulait » chasser » les logiciels de téléchargement et doter notre pays d' » outils juridiques » à l’encontre des sites qui les exploitent. Certains artistes, de bonne foi, avancent que les solutions techniques pour fermer des sites existent, et prennent pour preuve que la Chine parvient à les appliquer… On a les références que l’on peut !
Pour nous, il s’agit là d’une négation des droits de l’homme et de l’internet, dont la contribution aux débats démocratiques est grandissante et s’impose chaque jour davantage. Qu’on en juge :
Jamais un débat à l’Assemblée nationale n’avait été aussi suivi, en direct sur Internet, par des citoyens (les connexions au site de l’Assemblée nationale ont battu des records). L’ampleur du débat public à la suite du vote intervenu le 22 décembre confirme l’extrême sensibilité de l’opinion publique à la question des usages liés à l’internet. Songeons que la principale pétition circulant sur Internet a réuni plus de 155 000 signataires ! Chacun se souvient du rôle joué par Internet – en faveur du non dans le débat référendaire sur le projet de constitution européenne – confirmant son rôle de nouveau média à part entière, dans lequel le citoyen a pour particularité d’être à la fois récepteur et émetteur. Pour se forger une opinion, celui-ci se fonde de plus en plus sur ces échanges électroniques, en toute indépendance par rapport au microcosme politico-médiatico-artistique.
Nos concitoyens, et notamment les 18-35 ans, sont en quête de sens et d’espoir. Loin de s’éloigner de la politique, ils s’y engagent quand ils sont sollicités ou se sentent concernés. Ils échangent désormais leurs idées dans le cadre de leurs réseaux sociaux mais aussi sur Internet et c’est par ce biais qu’une grande partie de notre jeunesse entre dans le débat public et y trouve sa place.
Selon Médiamétrie, la France comptait 24 millions d’internautes à la fin de 2004. Selon TNS près de huit millions et demi de français téléchargent et utilisent le peer-to-peer. La question est donc cruciale.
De quoi s’agit-il dans ce projet DADVSI ? D’adapter l’économie de la culture à la révolution numérique, trop longtemps ignorée par l’industrie du divertissement. Tellement ignorée que la maigre part réservée aux artistes dans le prix de vente d’un CD a été transposée aux ventes en ligne : sur un morceau vendu 99 centimes, l’auteur perçoit seulement 7 centimes et l’interprète seulement 3,5 centimes. Pourtant, les coûts de fabrication, de stockage et de distribution ont disparu !
Aujourd’hui, l’enjeu est de répondre à la question : par quel système voulons-nous remplacer le modèle économique actuel, rendu obsolète par la révolution numérique ?
Deux visions s’affrontent : celle, archaïque, que défendent Nicolas Sarkozy et le gouvernement, et qui conduit à soutenir les majors anglo-saxonnes pour perpétuer leur mainmise économique sur les produits culturels, au risque finalement d’entraver la diffusion des œuvres de l’esprit et de restreindre la diversité culturelle.
Ainsi, le projet DADVSI autorise-t-il des technologies numériques de contrôle (dites DRM) qui perpétuent un autre monopole, celui de Microsoft sur les logiciels. Les industriels veulent greffer sur les œuvres des dispositifs d’identification de l’utilisateur, de tatouage de l’œuvre, de traçage de l’usage – la lecture n’étant plus possible que sur certains types de matériels (impossible sur autoradio par exemple) ou certaines marques de produits ou de logiciels. Certaines DRM espionnent à leur insu les utilisateurs et récupèrent des données individuelles. De telles pratiques sont incompatibles avec la loi informatique et libertés, comme l’a récemment rappelé la CNIL.
Les DRM sont non seulement liberticides, mais elles constituent également le cheval de Troie du système anglo-saxon du copyright, alors que l’exception culturelle française est notamment fondée sur la copie privée, incompatible avec de telles technologies. Comment justifier demain l’existence de la redevance sur les supports numériques (dont il faut rappeler que 25% des sommes collectées sont affectées au soutien de la création artistique), d’un montant élevé et pesant sur les consommateurs, si la copie privée est interdite ?
Tout occupé à satisfaire les groupes de pression, le gouvernement a même refusé de retenir une exception pédagogique, pourtant prévue par la directive européenne, qui aurait permis aux universitaires, enseignants et chercheurs d’utiliser des copie d’images, de films, de documentaires ou de sons à des fins d’enseignement ou de recherche.
Les DRM sont également incompatibles avec les logiciels libres (la plateforme GNU/Linux étant la plus connue). Ces logiciels ne sont pas licenciés, à la différence de Microsoft : leur code source (que la Commission européenne cherche en vain à obtenir de Microsoft) est accessible, c’est à dire modifiable par n’importe quel utilisateur, qui peut donc se l’approprier gratuitement pour son usage. Cette souplesse d’utilisation s’accompagne en outre d’une quasi absence de virus, renforçant considérablement la sécurité des systèmes informatiques. Ceci explique sans doute le fait que de nombreux ministères, dont celui de la Défense, et de nombreuses collectivités locales aient adopté les logiciels libres.
Sous l’empire des DRM, les utilisateurs de logiciels libres seraient contraints de s’équiper avec les systèmes d’exploitation dits propriétaires (Microsoft Windows, Apple, Realmedia) pour accéder aux œuvres de l’esprit. C’est l’effet de levier – ou d’éviction ! – qui avantagerait incontestablement Microsoft et les éditeurs de logiciels conçus pour Windows, au détriment de l’économie du logiciel libre, particulièrement développée en France.
Les deux amendements socialistes qui ont été votés ont atténué ces risques, mais l’opposition du Gouvernement à ces amendements fait douter de leur adoption définitive.
Au-delà des conséquences économiques, il faut signaler également des conséquences pour notre sécurité nationale. Si l’armée française se fait développer sur mesure un système d’exploitation reposant sur le logiciel libre Linux, ce n’est pas tout à fait par hasard. C’est même probablement parce qu’elle a de bonnes raisons de ne pas s’en remettre à un système d’exploitation américain…
La philosophie sécuritaire et liberticide de l’UMP, dont ce débat montre assez les dérives, est à l’opposé de celle animant Internet, qui repose sur deux notions fondamentales : la communauté (avec la responsabilité collective qu’elle implique) et la liberté (avec l’effervescence créatrice qu’elle permet). C’est grâce à ces deux notions que peuvent par exemple aboutir des projets aussi utopiques que Wikipédia, dans la droite filiation de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Selon nous, le virus liberticide de l’UMP ne doit pas » infecter » l’internet !
La vision alternative, proposée notamment par les députés socialistes, est pragmatique, moderne et progressiste. Elle est fondée sur le principe « autoriser pour rémunérer ». Elle permet, contre le paiement d’un forfait mensuel, d’accéder à une offre culturelle globale. Elle s’inspire de la licence légale pour la radio ou de la carte illimité pour le cinéma. Elle permet de dégager de nouvelles ressources pour la culture – complémentaires et assises sur l’internet – au profit des créateurs et des artistes. Elle garantit que l’internet continuera de faire émerger de nouveaux talents : du groupe anglais Arctic Monkeys aux talents francophones qui ne répondent pas aux critères de la Star Ac’. Elle garantit que la puissance de l’internet sera pleinement mise à contribution au bénéfice de l’enseignement et de la recherche. Elle permet au dynamique secteur français du logiciel libre de continuer à se développer, et aux administrations et aux collectivités locales de réaliser des progrès informatiques et des économies d’argent public. Elle permet, enfin, de préserver l’Internet et de sauvegarder les libertés publiques.
Face au scénario sarkozien, ou orwellien, une vision socialiste, humaniste et moderne est donc possible.
Ces deux projets s’opposent en tout cas presque philosophiquement : le progrès technologique doit-il perpétuer l’ordre établi et perfectionner la surveillance généralisée ou bien fonder au contraire de nouveaux modèles et de nouvelles solidarités ? Derrière les débats sur le projet de loi DADVSI pointent des enjeux de civilisation. Le dernier bien non encore assujetti au monde marchand est le savoir : l’éducation, la recherche, la création. Dans ce contexte, les grandes firmes détentrices de brevets et autres droits d’exploitation des œuvres de l’esprit veulent contrôler – et donc restreindre – l’accès à cette connaissance, pour mieux en tirer profit.
Le paradoxe est grand : la conception libérale a imposé une mondialisation des échanges commerciaux fondée sur la dérégulation et la libre concurrence. Pourtant, alors qu’internet permet, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à la culture et aux œuvres de l’esprit de s’affranchir totalement des contraintes de leur diffusion, les industrie de la culture voudraient imposer des barrières.
En étant mauvais sur la forme et sur le fond, le Gouvernement a dressé les Français les uns contre les autres et a divisé les artistes. Oui, la révolution numérique est une chance formidable, oui c’est un défi que nous devons relever en étant guidés par l’intérêt général et en préservant la liberté et l’effervescence créatrice qui font le succès d’Internet, qui illustre les aspects positifs de la mondialisation.
Pour répondre à cette situation inédite, il faut inventer un nouvel équilibre, qui permettra de dégager de nouvelles ressources pour les artistes et les créateurs.
Le projet du Gouvernement conduit à l’impasse. Il faudra le reprendre, sereinement, en 2007. Ce sera la responsabilité des socialistes et de leur candidat.
Jean-Michel BOUCHERON, Alain CLAEYS, Philippe MARTIN, Didier MATHUS et Didier MIGAUD, députés socialistes
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