Le Conseil national du numérique n'aura pas traîné. À peine vingt-quatre heures après son auto-saisine, l'organe consultatif français spécialisé dans les problématiques du numérique a rendu son avis (.pdf) sur l'article premier de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qui fait appel au filtrage administratif pour bloquer les sites web étrangers. Celui-ci est défavorable.
Dans sa proposition de loi, le Parti socialiste propose que "lorsque des sites Internet hébergés à l’étranger contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, les fournisseurs d'accès à Internet devront empêcher l’accès à leurs services". Mais pour le Conseil national du numérique, cette mesure est néfaste pour deux raisons.
Une mesure contreproductive
La première porte sur l'intérêt du filtrage dans la lutte contre le proxénétisme. "Tout en complexifiant le travail des enquêteurs, les dispositifs de blocage sont facilement contournables par les usagers", écrit le Conseil national du numérique, qui y voit une stratégie "contreproductive" qui est de toute façon toujours en décalage face aux évolutions technologiques.
À la place, d'autres leviers doivent être activés pour combattre le proxénétisme. Le Conseil en évoque quelques-unes : renforcer les "moyens mis à disposition pour réussir à saisir et punir les contrevenants installés en France, obtenir le retrait des contenus auprès des hébergeurs quand ils sont illicites, améliorer la coopération internationale et surtout accompagner et informer les personnes prostituées".
Une mesure attentatoire aux libertés
La seconde raison conduisant le Conseil national du numérique à rendre un avis défavorable sur l'article premier de la proposition de loi tient au fait que la loi écarte le rôle pourtant essentiel du juge judiciaire. "Étant donné la gravité de l’enjeu, le passage préalable par le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, est une étape logique et indispensable".
Pour le Conseil national du numérique, cet article "porte atteinte aux droits fondamentaux en termes de libertés d’expression et de communication". Et d'ajouter que "le numérique, ses technologies et ses usages peuvent et doivent être un support et un facteur d’approfondissement de ces droits, et ne peuvent pas servir de prétexte à leur réduction".
L'avis du CNNum sera suivi… ou pas
Reste une question : l'avis rendu ce jour sera-t-il suivi par le politique ? Cela reste à voir. Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur en début d'année, Fleur Pellerin (ministre déléguée à l'économie numérique) expliquait que si le Conseil "n'est pas là pour faire plaisir, mais pour donner un avis qui soit écouté et utile pour le gouvernement et le parlement", ce "sera toujours au politique de trancher".
Suite au séminaire du gouvernement sur le numérique, il a été évoqué un "contrôle indépendant" qui devra être mis en place "pour les mesures administratives de coupure et de filtrage". Reste que si le gouvernement fait défaut, peut-être que le parlement réécrira l'article premier. Plusieurs politiques (Christian Paul, Patrick Bloche, Laure de La Raudière, Corinne Erhel – bien que celle-ci soit signataire du texte) ont cette ambition.
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