Depuis l’avènement des sites d’hébergement de vidéos, on ne compte plus les internautes qui ont lancé leur propre chaîne pour diffuser du contenu. Ce phénomène du vidéocasting a séduit de nombreux Français, dont certains ont atteint un niveau de qualité remarquable : on pense bien sûr au Joueur du grenier (jeux vidéo), au Fossoyeur de films (cinéma) et aux inévitables Cyprien et Norman (humour).
Les thématiques abordées par ces animateurs d’un genre nouveau sont évidemment très variées. Mais dans la majorité des cas, ces « YouTubers » (puisqu’ils sont nombreux à être sur YouTube) font régulièrement appel à des œuvres protégées par le droit d’auteur pour enrichir leurs propres vidéos. Il ne s’agit pas ici d’infraction à la propriété intellectuelle ; il s’agit de profiter des exceptions prévues par la loi.
En effet, comment faire une critique ou une analyse d’un film sans illustrer son propos par quelques extraits ? Comment faire un test de jeu vidéo ou un guide pour une solution sans montrer le jeu lui-même ? Idem pour la bande son : une référence cinématographique est généralement accompagnée par la musique appropriée (La Marche Impériale lorsque Star Wars est cité, par exemple).
Bien entendu, pas question pour ces YouTubers d’abuser de ces exceptions : l’extrait sonore ne dure que quelques secondes, afin que chacun puisse l’identifier. Les passages d’un film qui fait l’objet d’une critique en vidéo sont également très brefs. Pour les jeux vidéo, c’est un peu différent : dans le cas d’un « walkthrough » ou d’un « playthrough », de larges séquences sont diffusées, voire la totalité du jeu.
Mais à la différence d’un autre média, qui peut être considéré comme « consommé » à sa simple diffusion (une musique, un épisode de série télévisée ou un film), le jeu vidéo n’est intéressant que lorsque l’on y joue. Même si un joueur regarde un walkthrough ou un playthrough qui révèle tout ou partie de son contenu, ce n’est absolument pas la même satisfaction que lorsqu’il y joue lui-même.
Des règles plus contraignantes pour les YouTubers
Jusqu’à présent, cet équilibre convenait à tout le monde, même lorsque certains YouTubers ont commencé à monétiser leurs vidéos incluant du contenu de tiers. En effet, ces derniers étaient « couverts » par un système d’affiliation qui leur permettait de passer sous le radar des robots de vérification de YouTube, pour ne pas subir les foudres de la lutte anti-piratage.
Or, la situation a complètement changé en début de semaine. De nombreux YouTubers ont constaté avec stupeur le blocage plus ou moins prononcé de leurs vidéos.
La situation est expliquée par DanyCaligula, qui a publié une vidéo :
Selon divers témoignages, YouTube a choisi de fixer une distinction plus nette entre les détenteurs de droits (c’est-à-dire ceux qui possèdent les œuvres) et les autres. Concrètement, les membres « Premium » (chaînes de télévision, groupes médiatiques, éditeurs de jeux vidéo, maisons de disques…) seront désormais séparés des chaînes rattachées à un réseau constitué d’affiliés.
De plus, YouTube a modifié une autre règle. La plateforme limite désormais le nombre de revendications par contenu monétisable. Par exemple, un YouTuber qui revendiquerait une de ses vidéos pour la monétiser mais dont un passage contient un extrait d’une œuvre appartenant à un ayant droit quelconque passera systématiquement après les intérêts de ce dernier.
Les vidéos de jeux vidéo très concernées
On se souvient ce printemps de la tension apparue entre Nintendo et plusieurs joueurs animant des chaînes de jeux vidéo contenant des « walkthroughs » et des « playthroughs » de titres vendus par la firme japonaise. Nintendo avait mis la pression sur certains YouTubers, afin de récupérer les gains issus de la monétisation de ces vidéos, au motif que ces dernières sont principalement composées de ses œuvres.
À en croire les témoignages collectés par Kotaku, les nouvelles dispositions de YouTube ont fait beaucoup de dégâts dans certaines chaînes dédiées aux jeux vidéo. Des vidéos se retrouvent privées de bande son, d’autres sont complétement bloquées ou, dans le meilleur des cas, privées de monétisation; les gains revenant à l’ayant droit.
Le nouveau système ne fait pas dans la dentelle et, surtout, ne prend pas en considération la durée de l’œuvre protégée ni celle de la vidéo créée par le YouTuber. L’un d’eux explique que sur une vidéo d’un quart d’heure où il se filme en train de jouer tout en racontant sa vie, un extrait sonore de 10 secondes est entendu ; et c’est ce passage qui est revendiqué, même s’il ne représente factuellement rien dans la vidéo.
Cette nouvelle donne est très handicapante pour les YouTubers qui avaient l’ambition d’en faire une activité à plein temps. Car s’ils incluent un extrait d’une œuvre revendiquée par un ayant droit, même réduit à sa portion congrue, ils pourront peut-être sauver leur vidéo du blocage, mais sans avoir la possibilité de toucher de l’argent dessus. Même si tout le reste est une création originale.
Aucune réelle porte de sortie
En l’état, la seule porte de sortie serait de solliciter au préalable l’autorisation écrite expresse de l’ayant droit (qu’il s’agisse d’une partie de jeu vidéo filmée, une visite guidée, une chanson interprétée, un enregistrement d’un concert, etc), sans avoir la certitude que le feu vert sera accordé. Et même en cas de feu vert, la perspective d’une seule revendication par contenu semble tuer l’idée de toute monétisation.
Toute la question est de savoir si YouTube va adapter son dispositif pour répondre aux préoccupations légitimes des YouTubers, tout en préservant les intérêts des membres « Premium ». Un système partageant les recettes d’une vidéo entre l’ayant droit et le YouTuber pourrait être une piste à suivre, avec éventuellement la prise en compte de la durée de chaque contenu.
Si rien ne change, les vidéocasters devront s’adapter à cette nouvelle donne, abandonner la monétisation ou limiter drastiquement l’usage d’extraits. Partir vers d’autres plateformes n’est en tout cas pas une solution viable : la situation n’est sans doute pas différente sur Dailymotion et les autres plateformes n’ont peut-être pas une audience suffisante et / ou un système d’affiliation équivalent.
En outre, les ayants droit ne resteraient de toute façon pas inactifs.
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