Officiellement, il s'agissait de dénoncer à travers Free la perte d'emplois que provoquerait la course au low-cost chez les opérateurs mobiles. Officieusement, la raison pour laquelle le Gouvernement — surtout Arnaud Montebourg — a attaqué avec une virulence inédite le modèle économique d'un acteur privé, ou sa manière de faire la publicité de son offre 4G, pourrait être moins avouable.
En effet, il faut se souvenir que pour pouvoir proposer des offres 4G, les opérateurs se sont lancés en 2011 dans une enchère folle. Les seuls lots de fréquences de la bande des 800 Mhz ont coûté à Bouygues Telecom, SFR et Orange la bagatelle de 2,6 milliards d'euros, et les lots sur la bande des 2,6 Ghz avaient coûté 936 millions d'euros. Or sur ces quelques 3,5 milliards d'euros de licences 4G, Free n'a dépensé que 271 millions d'euros, soit environ 7,5 % du total.
Avec actuellement 7,4 millions d'abonnés (au 3ème trimestre) la licence 4G coûte à Free 35 euros environ par abonné, et l'augmentation continue de sa part de marché lui assure un coût toujours plus réduit. A contrario, Orange a dépensé près de 1,2 milliards d'euros en licences 4G, ce qui représente 45 euros par abonné mobile. L'opérateur historique aura plus de mal à rentabiliser son enchère. Il devra soit revoir ses dividendes à la baisse, ce qui impactera les recettes de l'Etat actionnaire, soit limiter ses investissements futurs.
C'est bien là que Free porte atteinte aux intérêts financiers de l'Etat avec sa stratégie low-cost, et qu'il soulève les critiques du Gouvernement. En lançant une guerre des prix, l'opérateur oblige ses concurrents à écraser leurs marges. Or le Gouvernement a deux préoccupations en tête.
D'une part, l'Etat s'est engagé dans un plan de "très haut débit pour tous" à horizon 2022, poussé par la Commission Européenne, qui pourrait être fragilisé par une baisse de la capacité d'investissement dans la fibre optique. Dans ses attaques contre Free, Arnaud Montebourg avait lui-même évoqué la question de la fibre.
D'autre part, en cassant la capacité financière de ses concurrents, après avoir fait des réserves en limitant son propre investissement sur la 4G, Free s'est mis dans une position très favorable pour les futures licences 5G, pour lesquels il a déjà manifesté son intérêt dans un document publié en septembre. Il pourrait rafler la mise en limitant le montant de son chèque grâce à l'asphyxie de la concurrence.
Pour l'Etat, les enchères sur les licences de téléphonie mobile sont vus comme une forme d'impôt indirect, particulièrement précieux en ces temps de crise budgétaire. Il espérait pouvoir à nouveau collecter quelques milliards avec la 5G. Mais si Free est le seul à pouvoir investir, l'enchère risque d'être bien moins élevée que prévu, ce qui aura un impact douloureux sur les finances publiques. Il faudra prélever ailleurs, de façon peut-être plus visible, alors que l'Etat a promis la stabilité fiscale à partir de l'an prochain.
Et la machine est en marche. Au mois de mars dernier, l'Arcep avait jugé que la libération des fréquences de la bande 700 Mhz était un "enjeu majeur en terme de développement de l'accès au très haut débit mobile", avec la perspective d'un nouveau "dividende numérique" issu de la mise aux enchères des fréquences issues de la TNT. Là encore, la Commission Européenne presse pour déployer au plus vite la 5G partout en Europe.
"Les fréquences sont une ressource rare et publique. Leur affectation aux opérateurs télécoms aura un impact sur les finances publiques", avait pour sa part souligné le sénateur Bruno Retailleau, pour demander que le Parlement soit consulté.
Dans son avis du 5 février 2013, l'Arcep avait demandé au Premier ministre de rendre son avis sur l'affectation de la bande des 700 Mhz avant 2015. C'est-à-dire d'ici les 12 prochains mois.
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