Dans les années 2000, plusieurs grandes d'entreprises de la Silicon Valley se sont entendues pour ne pas démarcher leurs salariés en vue de les recruter, afin de ne pas faire monter les prix des salaires. Les preuves révélées par la justice américaines accablent en particulier Steve Jobs, l'ancien patron d'Apple, et le président de Google, Eric Schmidt.

L'affaire remonte à 2005, mais elle prend une sonorité particulière huit ans plus tard, au moment où Eric Schmidt se rend à Davos pour expliquer qu'il faut relancer la croissance par la hausse des salaires dans les classes moyennes.

La semaine dernière, la juge Lucy Koh a ordonné la déclassification partielle de pièces à conviction dans l'enquête menée depuis 2010 par le Département de la Justice (DoJ) américain, relative à une entente sur les salaires entre sept géants de la Silicon Valley : Google, Apple, Intel, Adobe, Intuit, LucasFilm et Pixar. Elles montrent qu'effectivement, plusieurs grands dirigeants d'entreprises technologiques américaines s'étaient mises d'accord dans les années 2000 pour ne pas recruter les ingénieurs des sociétés concurrentes, afin de ne pas provoquer une mise aux enchères chez les employés tentés de partir négocier meilleur salaire ailleurs.

Les documents mis en ligne par Techcrunch accablent en particulier Steve Jobs, dont l'entreprise apparaît centrale dans l'organisation de l'entente illicite. Le fondateur d'Apple, décédé en 2011, semble même avoir usé de menaces pour parvenir à ses fins et recruté de gré ou de force de nouveaux conspirateurs.

Ainsi le 24 août 2007, l'ancien PDG de Palm Edward Colligan avait refusé de faire partie de la conspiration, et l'avait fait savoir dans un courriel à Steve Jobs. "Votre proposition selon laquelle nous acceptons qu'aucune des deux entreprises ne recrute les employés de l'autre, quelles que soient les volontés de l'individu, est non seulement mauvaise, mais aussi illégale", avait-il prévenu. Lors de son témoignage au tribunal, Colligan a affirmé que Steve Jobs avait menacé Palm de faire crouler le fabricant de tablettes et smartphones sous les procès en contrefaçon de brevets s'il n'acceptait pas se joindre à l'accord, ce que Palm aurait refusé. Depuis, Palm a été racheté par HPpour exploiter ses brevets.

Un "Gentleman's Agreement"

Entre autres éléments compromettants, les documents judiciaires montrent un extrait de courrier électronique daté 28 mai 2005, dans lequel le PDG d'Adobe Bruce Chizen écrit à Steve Jobs en citant un message de sa directrice des ressources humaines : "Bruce et Steve Jobs ont un accord selon lequel nous ne démarchons AUCUN employé d'Apple, et vice versa…. Merci de vous assurer que tous vos recruteurs à travers le monde sachent que nous ne démarchons aucun employé d'Apple. Je sais que Jerry en démarche un actuellement, donc il faudra qu'il fasse marche arrière".

L'accord était essentiellement tacite, avec la volonté de ne pas laisser de traces écrites. Souvent, il est désigné sous le terme "Gentleman's agreement", sans plus de précisions. Selon RT, le président de Google Eric Schmidt aurait demandé à sa directrice opérationnelle Shona Brown de ne mentionner l'accord que "verbalement, parce que je ne veux pas créer de traces écrites qui pourraient nous valoir un procès après".

Les documents judiciaires font aussi remarquer que souvent, les présidents des sociétés concernées siègent dans les conseils d'administration des autres. Par exemple, Eric Schmidt était administrateur d'Apple, et Steve Jobs de Pixar, tandis que le PDG d'Intuit était au conseil de Google, tout comme celui d'Intel.

En 2010, le Département de la Justice américain a annoncé la conclusion d'un accord avec les parties concernées, dans lesquelles elles acceptaient de mettre fin à toute pratique d'entente sur les recrutements, même si elles ne reconnaissaient aucune faute. Le volet pénal est donc clos.

Mais le volet civil, qui permettra aux employés de réclamer des dommages et intérêts dans une procédure de class action, sera ouvert lors d'une première audience le 27 mai 2014.

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