Comme nous l'avions indiqué la semaine dernière lorsqu'Arnaud Montebourg été désigné ministre de l'Economie, du Redressement Productif et du Numérique, il fallait attendre cette semaine pour connaître le nom du secrétaire d'Etat en charge du numérique. Ce ne sera pas Fleur Pellerin, qui est transférée au commerce extérieur et au tourisme, mais la jeune députée socialiste Axelle Lemaire, 39 ans, franco-canadienne élue à l'Assemblée en tant que représentante des Français établis hors de France.
Il est heureux que pour ce secrétariat d'Etat, qui n'est plus réservé à la seule "économie numérique" mais élargi au "numérique" dans son ensemble, le Gouvernement se renforce d'une personnalité qui s'intéresse non seulement à l'économie numérique (elle est co-auteur d'un récent rapport sur la stratégie européenne en matière de numérique), mais aussi aux droits des citoyens.
Secrétaire nationale du Parti Socialiste aux droits de l'Homme, Axelle Lemaire a fait de l'une de ses spécialités parlementaires la protection des droits fondamentaux et des libertés publiques.
Lors du débat le 30 janvier dernier sur la protection de la vie privée à l'heure de la surveillance numérique, commerciale et institutionnelle, dans lequel Fleur Pellerin avait esquissé les grandes lignes de la loi sur l'Habeas Corpus numérique, Axelle Lemaire avait mis en garde et n'avait pas hésité à attaquer y compris les positions du Gouvernement sur des sujets sensibles comme la loi de programmation militaire (LPM), la loi sur la prostitution qui devait élargir le filtrage, ou la loi sur la géolocalisation policière :
La question du compromis à trouver entre la liberté, d’une part, et la sécurité, de l’autre, est vieille comme le monde, mais le dualisme de ces notions trouve à s’exprimer de manière particulièrement aiguë depuis l’avènement des technologies d’information et de communication dont le potentiel d’intrusion dans la vie privée à des fins de protection de l’État, de la société et des justiciables ou de recherche de bénéfices commerciaux est particulièrement fort.
(…)
On constate que les principes qui ont jusqu’à présent guidé le fonctionnement des réseaux d’information sont bousculés et que le législateur peine à apporter une réponse globale et toujours cohérente, comme l’ont démontré les épisodes successifs et récents relatifs à la loi de programmation militaire, à la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore au projet de loi relatif à la géolocalisation. Dans ce contexte, c’est une bonne nouvelle que celle de l’inscription de la neutralité de l’internet dans la loi, de l’affirmation du principe d’un internet ouvert, du financement des infrastructures et des écosystèmes.
(…) La nécessité d’un arbitrage clair entre les besoins de sécurité et les besoins de liberté se fait particulièrement ressentir en matière de lutte contre la cybercriminalité, de détention et d’usage des fichiers publics et privés, de sécurité des réseaux, d’ouverture des données publiques et de protection des données personnelles.
Alors députée, la nouvelle secrétaire d'Etat au numérique avait aussi plaidé pour que la France n'attende pas le nouveau règlement européen sur les données personnelles pour édicter une loi contraignante qui protégerait bien mieux les intérêts des internautes :
Concernant les données personnelles, on connaît désormais le besoin de protection revendiqué par les citoyens. Or, si la liberté nous est chère, le premier mot de notre devise républicaine semble actuellement quelque peu malmené, notamment par certaines pratiques commerciales. Ce règlement européen, qui n’a pas fait l’objet d’un accord, a été amélioré grâce au travail du Parlement européen, mais se pose la question de la date de sa mise en oeuvre en France. Considérant les délais d’application, faut-il envisager une loi française sur les données personnelles incluant le consentement exprès, le droit à l’oubli, la portabilité des données, les transferts internationaux, un niveau de sanctions plus élevé pour l’utilisation des données sans consentement, la suppression de la déclaration auprès de la CNIL pour les meilleures coordinations entre les autorités de régulation, voire la création d’une action collective dans le numérique ?
La France se dote-t-elle d’une stratégie d’influence suffisante pour convaincre ses partenaires européens qu’un niveau élevé de protection pour les usagers et les entreprises peut être facteur d’attractivité et de compétitivité et que toute réglementation, en ce domaine, n’est pas forcément nuisible ? C’est vrai pour Bruxelles, ça l’est aussi pour les négociations sur le partenariat transatlantique. J’espère que la France saura faire entendre sa voix protectrice et attractive en ce domaine.
Il faudra toutefois rester méfiant, notamment sur le terrain de la neutralité du net. Dans son rapport sur la stratégie européenne, Axelle Lemaire estimait qu'il fallait "travailler sur le rééquilibrage des obligations et des profits dans la chaîne de valeur" des télécoms, ce qui est rarement vu comme compatible avec le respect stricto sensu de la neutralité des réseaux. Or elle avait volontairement exclu cet aspect de son rapport.
"La question de la neutralité du Net n’est pas incluse, à ce stade, dans la proposition de résolution, mais il n’est pas exclu qu’elle le soit dans sa version finale", avait-elle expliqué à ses collègues parlementaires. "En tout cas, il n’est pas question d’envoyer des mauvais signaux aux acteurs français et européens du Net ; bien au contraire, tout sera fait pour créer un environnement propice à leur développement."
Ne reste plus qu'à faire ses preuves.
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