Tout est bon pour discréditer l'adversaire, même les raccourcis les plus courts. Lundi, le directeur des affaires institutionnelles et européennes — comprenez "lobbyiste" — de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) a publié sur son blog professionnel un billet provocateur sur les liens idéologiques qu'il y aurait entre le Parti Pirate et le Front National, comme si voter l'un ou l'autre était du même acabit.
"Au-delà de la différence de situations entre un parti Pirate mis en échec dans les urnes et un Front national, grand victorieux de la soirée électorale, apparaît entre les deux partis, un lien étrange et une continuité étonnante : les défenseurs acharnés de la liberté sur le Net rejoignent l’extrême-droite europhobe dans leurs propositions sur la politique numérique et le droit d’auteur", écrit-il, allant jusqu'au syllogisme. "Cette configuration, pour le moins surprenante, pousse à se demander si leur attachement aux grands principes les encouragera à rester éloignés d’un groupe extrême-droit".
Le lobbyiste de la SACD rappelle ainsi certaines des positions du Front National, contre l'extension de la redevance TV aux ordinateurs et tablettes (une proposition qui revient régulièrement mais qui a toujours été repoussée sous la pression de Bercy), contre le traité ACTA (rejeté par le Parlement Européen qui n'est pas soupçonnable d'être d'extrême droite), pour la défense de la Neutralité du Net (là aussi comme le Parlement européen), contre la loi Hadopi (comme l'était le Parti Socialiste), et en faveur d'une licence globale (comme l'était le Parti Socialiste et même certains députés UMP).
Nous ne dirons pas le contraire. Oui, le Front National a effectivement défendu des idées qui sont aussi défendues par le Parti Pirate, lequel défend très souvent des idées qui étaient celles que nous défendions nous-mêmes bien avant sa création en 2006, lesquelles étaient aussi des idées qui étaient défendues par d'autres depuis plus longtemps encore.
C'est une nécessaire caractéristique des idées que de n'avoir aucun propriétaire.
Il est heureux que les bonnes idées soient reprises, quand bien même seraient-elles reprises par des partis dont l'idéologie dans d'autres domaines n'est en rien similaire. C'est heureux même pour la SACD, puisque dans son programme (.pdf) le Front National défend notamment le soutien à l'exception culturelle pour produire davantage d'oeuvres françaises, ce qui est une demande de la SACD :
Le drame n'est pas que le FN puisse avoir les mêmes idées que le Parti Pirate, ni même que les électeurs du Parti Pirate se sentent attirés par le Front National. Le drame est que les deux grands partis dominants, PS et UMP, soient incapables d'offrir un discours crédible capable de séduire plus encore que le FN ceux qui sont préoccupés par les abus de la propriété intellectuelle, par la surveillance généralisée de la population, par la privatisation de la justice, par le déficit de transparence et de légitimité démocratique, par la corruption des élites…
C'est ce nous avions dit dès la campagne présidentielle de 2011, quand nous avions constaté que Marine Le Pen était la seule parmi les candidats susceptibles de parvenir au second tour à tenir un discours implacable de défense des libertés sur Internet. Hélas, le Parti Socialiste au pouvoir n'a rien fait pour rassurer sur ses propres visions, ce qui a largement contribué à son échec historique aux Européennes.
Le drame est aussi que d'autres partis qui ont sensiblement les mêmes idées que le Front National et le Parti Pirate sur les questions numériques soient si peu audibles, comme c'est le cas par exemple d'Europe Ecologie.
Le problème est beaucoup plus complexe et le mal bien plus profond que ce que veut bien en dire la SACD. Seule une véritable réforme institutionnelle d'envergure, avec la convocation d'une constituante vide de tous conflits d'intérêts (que ceux qui écrivent la Constitution ne puissent accéder aux pouvoirs dont ils fixent les bornes), sera à même d'aboutir au renouveau démocratique dont la France, et plus largement le monde, a besoin. Ce n'est que lorsque le peuple aura de nouveau le sentiment d'être correctement représenté qu'il cessera de chercher dans les extrêmes ceux qui prétendent défendre le mieux ses intérêts.
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