On dit souvent que Google atteint une telle suprématie qu'il devient une forme de puissance étatique à lui tout seul. Il ne pouvait pas mieux l'illustrer qu'en se substituant aux autorités européennes pour organiser sa propre consultation publique, dans des formes proches de celles utilisées habituellement par Bruxelles, au sujet du droit à l'oubli.
Mieux, il propose explicitement de recevoir les contributions "de la part de gouvernements", ce qui le place de fait dans une position hiérarchique supérieure. Du jamais vu.
Mais après tout, Google ne fait que se saisir du pouvoir supra-étatique dont l'Europe elle-même l'oblige à s'imprégner. En effet, lorsque la justice européenne a ordonné à Google d'offrir un droit à l'oubli, elle l'a fait en mettant dans ses mains les responsabilités régaliennes qui devraient être celles du juge judiciaire, protecteur traditionnel des libertés civiles.
Démission de l'autorité judiciaire
La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a en effet demandé à Google de juger lui-même de la validité de chaque demande individuelle de censure du moteur de recherche, en pesant pour chaque cas le pour et le contre entre l'intérêt personnel de la personne qui demande à supprimer un résultat qui le concerne, et l'intérêt du public à connaître ce résultat.
"Nous avons reçu des demandes de suppression concernant des contenus très variés : casiers judiciaires, photos gênantes, messages insultants ou injurieux, allégations datant de dizaines d'années, articles de presse négatifs, etc. Pour chacune de ces demandes, nous devons évaluer au cas par cas le droit à l'oubli d'une personne et le droit à l'information du public", rappelle Google.
Très vite, Google a voulu démontrer in concreto le danger démocratique d'un tel pouvoir qui lui était confié à lui, entreprise privée qui n'a aucune légitimité à juger. Mais il choisit finalement de prendre la balle au bond, et d'accepter ce statut de super-état qui lui est apporté sur un plateau, par la démission de l'institution judiciaire elle-même.
Créer sa propre législation
"Notre impératif est de trouver le juste équilibre", et "cette obligation constitue un nouveau défi de taille", explique la firme de Mountain View, qui est dans l'obligation de se substituer à l'Etat pour définir lui-même ses propres critères législatifs et jurisprudentiels, et de trouver ses propres magistrats pour les appliquer.
Il a donc décidé de mettre sur pieds un "Comité consultatif", qui ressemble à un jury de tribunal ou à une petite assemblée parlementaire (la France et la presse y sont représentés par la directrice éditoriale du Monde, Sylvie Kauffmann) :
La consultation publique devra permettre au comité consultatif de "publier des conclusions qui, nous l'espérons, contribueront à orienter nos pratiques, constamment évolutives, dans ce domaine".
"Le comité pourra également solliciter des contributions de la part de gouvernements, entreprises, médias, établissements universitaires, du secteur de la technologie, des organisations travaillant sur la protection des données et d'autres structures ayant un intérêt particulier dans ce domaine, afin de faire émerger et ainsi d'examiner les questions délicates se situant à la croisée entre le droit à l'information et le droit à la vie privée."
"Nous espérons également que les conclusions du comité consultatif seront utiles à d'autres personnes qui pourraient être touchées par la décision de la Cour. Il est dans notre intérêt à tous de donner une réelle effectivité à cette décision et de trouver le meilleur équilibre possible."
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