Cela fait maintenant plus de trois ans que la Syrie s'est enfoncée dans une guerre civile meurtrière. Démarré en même temps que les révolutions arabes, le soulèvement populaire contre le régime de Bachar el-Assad a tourné court. Aujourd'hui, c'est un conflit abominable qui se déroule dans ce pays. Selon un décompte récent de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme, il y aurait déjà eu plus de 170 000 victimes.
En trois ans, de nombreux événements ont jalonné dans le numérique la guerre civile syrienne. Ainsi, on se souvient par exemple de la coupure des télécommunications survenue à la fin de l'année 2012. Naturellement, tous les regards s'étaient tournés vers Damas, à l'époque. Après tout, le gouvernement semblait bien capable d'une telle extrémité : un an après le début des premières révoltes, la rébellion prenait de l'ampleur dans tout le pays.
Bien sûr, la déconnexion temporaire de la Syrie avait provoqué de nombreuses réactions en Occident. Les États-Unis avaient alors dénoncé l'atteinte à la liberté d'expression perpétrée par le pouvoir en place et réaffirmé leur intention de fournir un certain nombre d'équipements de communication à la population (notamment des téléphones portables). Idem pour la France et d'autres pays européens.
Certaines entreprises privées avaient aussi mis en place des outils visant à aider les Syriens. Par exemple, Google et Twitter avaient promu le service Speak2Tweet, qui permet de diffuser des messages écrits sur le réseau social, en convertissant les messages vocaux reçus sur un répondeur. Cette opération avait déjà été éprouvée un an auparavant, lors de la révolution égyptienne.
Or, il s'avère aujourd'hui que toutes les coupures des télécommunications qui sont survenues en Syrie depuis 2011 ne sont pas nécessairement le fait du régime de Bachar el-Assad. C'est en effet ce qu'il ressort d'un très long entretien qu'Edward Snowden a accordé au magazine américain Wired. Au moins un incident a été provoqué par une puissance étrangère.
Un routeur brické par la NSA
"Un jour, un officier de renseignement lui a dit [à Edward Snowden, ndlr] que le TAO – une division de la NSA composée de hackers – avait tenté en 2012 d'installer à distance une porte dérobée sur l'un des routeurs de cœur de réseau au sein de l'un des principaux fournisseurs d'accès à Internet en Syrie, alors en pleine guerre civile", écrit l'article.
"Cela aurait donné à la NSA un accès aux e-mails et au reste du trafic Internet d'une grande partie du pays. Mais quelque chose s'est mal passée, et le routeur a été "brické" à la place – le rendant totalement inutilisable. L'échec de cette opération sur le routeur a entraîné la perde soudaine de toute connexion à Internet en Syrie", poursuit Wired, notant que le public n'a jamais été mis au courant.
"Au centre des opérations TAO, les hackers du gouvernement ont eu ce que Snowden appelle un instant "Oh, merde !". Ils se sont empressés de réparer le routeur à distance, de brouiller leurs traces dans l'urgence et de faire en sorte que les Syriens ne puissent pas découvrir le logiciel d'infiltration sophistiqué utilisé pour accéder au réseau. Mais dans la mesure où le routeur était briqué, ils étaient incapables de résoudre le problème".
"Heureusement pour la NSA, les Syriens étaient apparemment plus occupés à remettre en état l'accès à Internet de la nation que de s'occuper de la cause de la panne. Au sein du centre des opérations TAO, la tension s'est en allée avec une blague qui contenait une certaine vérité : "si nous sommes démasqués, nous pourrons toujours pointer du doigt Israël".
Une coupure parmi d'autres
Cet épisode raconté par Edward Snowden paraît crédible, dans la mesure où la NSA n'a pas d'intérêt à couper les télécommunications de la cible qu'elle veut écouter. L'événement n'a en revanche pas été daté avec précision par l'ancien analyste de la NSA, hormis l'année (2012). Aussi, il n'est pas impossible que la coupure provoquée involontairement par l'agence américaine soit celle de novembre 2012 que nous évoquions plus haut.
La coupure a pu sembler "naturelle" parce que ce n'était pas la première fois que la Syrie connaissait de graves problèmes de réseau. En juin 2011, le pays avait déjà connu une chute brutale du trafic Internet. Au cours de l'été 2012, une autre interruption est survenue pendant 40 minutes avant que les communications ne soient rétablies. Des incidents ont également été relevés en 2013, avant le rétablissement de la situation.
Les informations données par Edward Snowden donnent un éclairage nouveau sur certains incidents qui ont frappé les télécommunications de la Syrie ces trois dernières années, même si seul l'un d'entre eux a manifestement été causé par la NSA. Les autres en revanche ont vraisemblablement été décidés par le pouvoir en place, pour limiter la capacité de l'opposition à s'organiser.
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