Contrairement à ce que certains utilisateurs croient encore, Facebook n'affiche pas la totalité des messages publiés par les amis, loin s'en faut. Il effectue une sélection automatique basée sur des critères obscurs, avec des objectifs pas toujours très avouables (en témoigne la très décriée expérience visant à rendre les internautes heureux, qui avait pour but officieux de rendre les utilisateurs plus susceptibles de cliquer sur les publicités, car la bonne humeur incite davantage à la consommation).
Fin 2013, Facebook a ainsi annoncé le déploiement d'un nouvel algorithme de tri des fils d'actualités, officiellement pour donner la priorité aux "contenus de grande qualité" (officieusement pour vendre des "promotion des publications" à prix d'or), se permettant de fait de manipuler l'information que les internautes partagent avec le réseau social. Mais saviez-vous à quel point ?
71 % de contenus invisibles
Le Washington Post publie une analyse de terrain réalisée par le journaliste Tim Herrera, qui a passé en continu cinq à six heures de suite à lire son fil d'actualités sur Facebook, rafraîchissant sans cesse la page pour ne rater aucune nouvelle publication. Dans ce laps de temps, il a catalogué 1 417 mises à jour de statuts, photos, liens, "J'aime", et autres messages publiés sur sa page d'accueil. Mais il a poussé le vice jusqu'à examiner ensuite manuellement tous les contenus publiés ce jour-là par les 403 amis et 157 pages qu'il "aime" sur Facebook.
Or au total, il a dénombré 2 593 contenus publiés ce jour-là. Mais seulement 738 d'entre eux, soit 29 %, étaient apparus dans son fil d'actualités, rafraîchi frénétiquement tout au long de la journée. Tous les autres étaient des contenus datant d'un ou plusieurs jours, que Facebook jugeaient plus intéressants pour lui que les contenus publiés par les gens ou les pages qu'il dit "aimer".
"Ca veut dire qu'après avoir fait tout monde possible pour voir toute l'actualité de mon réseau, j'en ai vu moins d'un tiers", résume Tim Herrera. "Etant donné que l'utilisateur américain moyen passe 40 minutes par jour sur Facebook — ou environ un dixième du temps que j'ai passé sur mon fil d'actualités, il est facile d'imaginer que le pourcentage chute très, très en dessous des 29 %".
Le royaume de l'absence de dissonance cognitive
Facebook reconnaît sans mal cette analyse. Il explique même que ce résultat est voulu, puisqu'il s'agit de fournir à chaque internaute la substantifique moelle de ce qui l'intéressera le plus dans les contenus publiés par ses "amis". Le réseau social dispose ainsi d'algorithmes très pointus pour distinguer les centres d'intérêts de chacun, et faire remonter auprès de chaque internaute les seuls contenus qui sont le plus susceptibles de l'intéresser, en fonction d'un très grand nombre de critères (intérêt manifesté pour la personne qui publie l'information, intérêt des amis en commun pour la publication nouvelle, etc.).
Mais le risque pour chaque utilisateur est alors de s'enfermer dans ses propres convictions, centres d'intérêts et opinions, partagées par les seuls pairs qui ont sensiblement les mêmes. C'est l'absence de dissonance cognitive faite reine, avec un risque effroyable d'appauvrissement intellectuel et de radicalisations mutuelles. Ne communiqueront ensemble que ceux qui partagent les mêmes vues et publient de quoi remettre de l'eau au moulin. Tout opinion dissidente, parce que peu partagée par son cercle d'amis, restera invisible.
C'est aussi la question posée par un autre article, de GigaOM, sur la distinction entre Facebook qui "n'affiche rien" (ou si peu), et Twitter qui "affiche tout" (de ce que publient ses "following"), et le rôle de ces réseaux sociaux dans l'appréhension de l'actualité. En l'espèce, dans la couverture des émeutes de Ferguson et du rôle très controversé de la police. La manière dont des algorithmes sélectionnent ou non l'information vue par les utilisateurs a une influence très directe sur la manière dont ces utilisateurs perçoivent l'actualité et l'analysent.
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