« Je demande à ceux de nos collègues qui sont tentés de lancer des débats philosophiques sur la liberté d’aller et de venir de comprendre que nous vivons aujourd’hui une période grave : même s’ils sont Français, s’ils sont nés ici et s’ils ont fréquenté l’école de la République, des gens égorgent, et ils n’hésiteront pas à vous tuer ni à tuer vos enfants« .
Si le terrorisme consiste à terroriser pour parvenir à ses fins, alors on peut dire que Pierre Lellouche est sur la bonne voie sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Provoquer la peur pour défendre l’indéfendable, voilà la technique employée par le député UMP pour tenter de durcir plus encore le projet de loi de lutte contre le terrorisme, présenté par Bernard Cazeneuve.
Déjà en 2003 pour tenter de faire entrer la France en guerre aux côtés des Etats-Unis, Pierre Lellouche affirmait à la télévision publique à une heure de grande écoute que « tout le monde sait que depuis 25 ans (l’Irak) accumule des armes de destruction massive« , et relayait ce qui s’est avéré être une honteuse manipulation de la CIA. Onze ans après, Pierre Lellouche ne ment pas sur la réalité des conflits et des abominations au Proche-Orient, mais n’hésite pas à en exagérer la portée pour la France.
PRIVER DE DROITS SOCIAUX LES SUSPECTS BLOQUÉS EN FRANCE
« Quand ils partent en Syrie ou en Irak, ils font la guerre, ils égorgent, ils tuent, ils massacrent. Et s’ils reviennent, ils le feront ici aussi !« , a ainsi menacé Pierre Lellouche mardi soir. La veille, il prévenait que « nous n’en sommes qu’au début de cette guerre » contre « une frange fanatique du monde musulman », au prétexte de quoi des députés demandent à « suspendre les libertés démocratiques » en France. Climat d’hystérie.
Jamais avare d’idées pour rendre le texte plus redoutable encore qu’il ne l’était d’origine, Pierre Lellouche a présenté un amendement (cosigné par des dizaines de députés UMP dont François Fillon, Eric Ciotti, Xavier Bertrand ou Eric Woerth) qui proposait de sucrer tous leurs « droits sociaux » aux individus simplement suspectés de projeter de partir à l’étranger pour rejoindre des terroristes.
L’article 1er du projet de loi, adopté dans la nuit, donne déjà à l’Etat la possibilité de confisquer d’office ses papiers d’identité et de priver du droit de sortie du territoire tout citoyen français dès lors (admirez l’exigence de preuves) qu’il « existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger (…) dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français« . Mais pour Pierre Lellouche ce n’était pas assez. Il fallait non seulement que les Français concernés qui n’ont encore commis aucune exaction soient bloqués en France, qu’ils ne puissent plus justifier de leur identité sauf par le biais d’un récépissé qui vaudra tampon « présumé terroriste », mais aussi qu’ils ne puissent plus bénéficier du moindre « droit social » dans le pays qui les enferme.
Heureusement la proposition du député Lellouche a été rejetée. Mais moins pour des raisons de fond que des raisons de forme. Bernard Cazeneuve a craint que l’amendement « nous mette dans une situation extrêmement difficile d’un point de vue juridique« , tandis que Pascal Popelin (PS) a rappelé que « le concept de « droits sociaux » n’existe pas en droit« , en précisant que « si vous nous aviez donné la liste des droits sociaux que vous proposiez de supprimer, nous aurions pu en discuter sur le fond« .
« J’ai des connaissances juridiques que d’autres n’ont peut-être pas. Commencez par obtenir les diplômes que je détiens !« , l’avait pourtant mis en garde Pierre Lellouche, en vanité mais en vain.
SURVEILLER CHAQUE TOURISTE QUI SE REND EN TURQUIE
Pierre Lellouche, avocat de profession, redoute également que les suspects qui n’ont encore rien fait (et qui peut-être ne feront jamais rien) puissent arguer pour échapper à l’interdiction de sortie du territoire qu’il n’y a aucune preuve contre eux, notamment parce qu’ils ne se rendraient pas directement sur les fronts djihadistes en Syrie ou en Irak, mais voyageraient d’abord vers des destinations touristiques traditionnelles. En particulier la Turquie.
Lellouche a donc proposé de ne plus seulement incriminer les départs projetés vers les théâtres de combats terroristes, mais aussi « à proximité« .
Et pour étayer les dossiers de preuves, le membre du groupe amitié France-Turquie à l’Assemblée Nationale a estimé « que toute personne se rendant à Istanbul dans un avion de Turkish Airlines ou d’Air France devrait faire l’objet d’une surveillance et nous devrions disposer d’une liste des passagers afin de savoir qui prend l’avion non seulement depuis Paris mais aussi depuis nos villes de province ou depuis Berlin« .
« Voilà ce qui est nécessaire, le reste n’est que littérature !« , a-t-il ajouté. « Je demande à ce gouvernement d’être un tout petit peu sérieux ! (…) Veut-on oui ou non arrêter ces gens ?« .
Cette idée n’est pas tout à fait neuve. Elle est même relativement ancienne et précède de loin les départs prétendument massifs de Français et d’Européens vers les zones de djihad. Les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni collectent et échangent déjà leurs PNR (Passenger Name Record, ou « données de dossiers passagers »). Au niveau européen, une proposition de la Commission européenne de généraliser le dispositif avait été rejetée par le Parlement européen en 2008.
Selon les chiffres du ministère turc du tourisme, plus de 1 million de Français visitent la Turquie chaque année. Autant de présumés terroristes aux yeux de Pierre Lellouche.
« VOUS N’AVEZ PAS DIT ISLAM ? AH BON, ALORS J’AI MAL ENTENDU »
Mais peut-être Pierre Lellouche se contenterait-il toutefois de cibler dans les surveillances qu’une seule catégorie de Français, comme peut le laisser penser un étrange lapsus auditif confessé par le député au cours des débats.
Jugez plutôt d’après le compte-rendu officiel, au moment de la discussion sur le retrait des « droits sociaux » aux individus suspectés d’avoir des desseins djihadistes :
M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. La commission émet évidemment un avis défavorable.
À partir du moment où ces individus sont sur le territoire national, il faut être prudent et veiller à ne pas stigmatiser, à ne pas jeter l’opprobre. L’objectif n’est pas de faire que la République les rejette, il est bel et bien de faire en sorte que la République puisse les accueillir en son sein. Ce que vous proposez maintenant va un peu à l’encontre de ce que vous proposiez il y a un instant, à savoir de délivrer un récépissé qui permette de garantir l’ensemble des autres droits, sauf celui de sortir du territoire. Et voici que vous défendez un amendement de nature à permettre de supprimer des aides sociales et, je reprends votre expression, des « droits sociaux » ! D’ailleurs, je ne sais pas ce que ça veut dire. Sont-ce des prestations sociales, des aides sociales ? Ou cela couvre-t-il un champ plus large, qui inclurait d’autres dispositifs ? Par ailleurs, on reparlera un peu plus tard de la suppression des allocations familiales et des aides sociales pour ceux qui sont sortis du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Monsieur le rapporteur, j’avoue que j’ai du mal à comprendre votre raisonnement, si tant est qu’il est compréhensible. D’abord, cet amendement ne vise pas à stigmatiser l’islam : je ne sais pas où vous êtes allé chercher cette idée.
M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !
M. Pierre Lellouche. Ah bon ? Alors j’ai mal entendu.
M. Philippe Goujon. Il a dit qu’il ne faut pas stigmatiser.
(…)
M. Pierre Lellouche. Vous estimez donc qu’il faut éviter de stigmatiser des personnes qui ont été identifiées par les services de police comme des candidats au djihad, des gens qui sont prêts à commettre des actes terroristes – car c’est bien ce que signifie l’article premier. Il s’agit de personnes d’une particulière dangerosité, de gens qui sont prêts à faire la guerre à la France. Il ne s’agit donc pas de stigmatiser qui que ce soit.
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