C'est un paradoxe dont elle a bien du mal à s'extirper. La fondation Mozilla était née au début des années 2000 pour abattre le monopole d'Internet Explorer et des technologies propriétaires avec la création du navigateur libre et open-source Firefox (voir notre article sur les 20 ans de Netscape). Mais son succès n'a fait que conforter la naissance d'un autre monopole plus inquiétant encore, dont la communauté du logiciel libre sent bien qu'il doit être combattu, mais qu'elle a beaucoup plus de mal à affronter : Google.
En 2004, Mozilla a en effet signé un pacte avec le diable en acceptant d'intégrer Google comme moteur de recherche par défaut sur Firefox, en échange d'un partage des revenus générés par les publicités affichées sur les résultats des recherches. A l'époque, Firefox venait de sortir et n'avait encore qu'une part de marché résiduelle, de l'ordre de 3,5 %. Mozilla avait besoin de fonds pour se développer.
De plus, Google n'était encore qu'un simple moteur de recherche, très apprécié des internautes pour ses qualités imbattables. Il faut se souvenir qu'en 2004 Gmail sortait à peine des cartons, que Google Maps n'existait pas encore, pas davantage que YouTube, Google Docs, Google Plus, Google Shopping, StreetView, Compute Engine, etc. Google était certes déjà très gros malgré son jeune âge, mais l'on ne devinait pas encore à quel point il deviendrait très vite une immense toile imbriquée de services en ligne en tous genres, avec même son propre système d'exploitation pour les réunir tous, Android.
Un chèque contre un renoncement
10 ans plus tard, l'accord qu'avait signé Mozilla avec Google apparaît plus que jamais comme un piège qui s'est refermé sur la fondation. Entre 2004 et 2008, Firefox a pu croître sans encombre jusqu'à atteindre plus de 30 % de parts de marché, entraînant mécaniquement une hausse spectaculaire de ses revenus, grâce aux recherches effectuées sur Google par ses utilisateurs. Plus Firefox croissait, plus Google était utilisé, et plus Mozilla s'enrichissait. Mozilla est donc devenu extrêmement dépendant de Google, qui apportait près de 85 % des revenus de la fondation. En 2008, l'éditeur de Firefox s'est retrouvé en position délicate lorsque Google a décidé de lancer son propre navigateur Chrome, qui le dévore à petit feu, et lorsque sont venus le temps des négociations de reconduite du contrat.
Par réalisme économique, Mozilla a dû renoncer en partie à ses valeurs et fermer les yeux sur le monstre monopolistique qu'il a aidé à faire naître ou qu'il n'a pas combattu. La galaxie de services propriétaires qui rendent les internautes toujours plus dépendants de Google et de ses serveurs est de plus en plus vivement redoutée par la communauté du logiciel libre, comme en témoigne le projet de "Dégoogliser Internet" de Framasoft. Mais elle est accompagnée avec bien trop de passivité par Mozilla, qui ne joue plus le rôle de locomotive du logiciel libre que beaucoup d'internautes lui prêtaient.
Et si Mozilla n'était plus la solution ?
Même si l'on devine des ambitions nouvelles à soutenir à travers des projets comme Firefox OS, lancés peut-être trop tard, le pacte initial signé en 2004 et sans cesse renouvelé depuis ne lui a jamais permis de tourner le dos à Google pour remettre enfin ses actes en accord avec ses valeurs. La logique aurait voulu par exemple qu'un DuckDuckGo soit proposé par défaut sur Firefox, pas qu'il figure comme une alternative parmi d'autres. Voire que Mozilla mette sur pieds son propre moteur de recherche, ce qu'il n'a jamais tenté de faire.
Le dernier contrat de trois ans discuté entre Mozilla et Google avait été signé en décembre 2011, au bout de négociations très tendues dans lesquelles Mozilla avait même (paradoxe des paradoxes) menacé de se jeter dans les bras de Microsoft, pour mettre Bing comme moteur par défaut. Le contrat arrivant de nouveau à échéance, les négociations ont repris.
Mais cette année encore, il sera impossible pour Mozilla d'échapper à une alternative entre Google et Microsoft. De quoi se demander si ce n'est pas finalement à la communauté du logiciel libre de trouver une alternative à Mozilla.
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