Le 27 juin 2005, les juges de la Cour Suprême des Etats-Unis ont établi un nouveau standard pour permettre de porter plainte avec succès contre des éditeurs de logiciels de Peer-to-Peer. « Celui qui distribue un dispositif avec comme objet de promouvoir son utilisation pour violer le droit d’auteur […] est responsable des actes de violation qui en résultent du fait des tiers qui utilisent le dispositif, quelles que soient les utilisations légitimes du dipositif« , avaient ainsi jugés les plus haut magistrats américains.
Forte de cette victoire devenue inespérée, la RIAA a envoyé le 13 septembre 2005 une série de lettres d’injonctions aux principaux éditeurs de logiciels de P2P aux Etats-Unis : BearShare, i2hub, eDonkey, LimeWire, WinMX, Warez P2P et SoulSeek. Depuis, BearShare a fermé et ainsi rejoint les décisions des créateurs de WinMX et i2hub. Warez P2P (dont la version 3 vient de sortir) et Soulseek ont préféré ignorer les menaces de la RIAA. Deux éditeurs ont pour leur part choisit de prendre le temps de négocier leur légalité : LimeWire et eDonkey.
Une plainte aux fondements fragiles
Depuis l’arrêt Grokster, LimeWire n’a cessé de se construire une sécurité juridique pour éviter une plainte de la RIAA. L’éditeur a multiplié les messages d’avertissement et même instauré un filtre optionnel pour prouver sa bonne foi. Mais il n’a jamais arrêté de vendre la version Pro de LimeWire à 18 $, et c’est semble-t-il ce qui a excité la nervosité de la RIAA.
« Les propriétaires du site ont démontré un intérêt insuffisant au développement d’un modèle économique légal qui respecte convenablement le droit d’auteur. Alors que d’autres services sont venus à la table en étant productifs, LimeWire s’est assis les bras croisés et a continué à récolter des profits sur le dos de la communauté musicale« , explique la RIAA dans un communiqué. « Ceci est malheureux, mais nous n’avions plus d’autres choix que de déposer une plainte pour protéger les droits et les ressources des artistes, auteurs-compositeurs et employés des maisons de disques, ainsi que ceux des entreprises qui établissent des activités légitimes basées sur la musique. »
Mais l’affaire risque d’être plus compliquée pour la RIAA qu’avec Grokster. Dans le cas qui a permis la jurisprudence précitée, Groskter avait montré peu de précaution en s’autoproclamant « le nouveau Napster » lors de son lancement. La Cour Suprême a souhaité prendre en compte les signes d’intention frauduleuse, manifestés notamment lorsque les employés de Grokster répondaient à des emails de soutien technique où figuraient spécifiquement les noms de fichiers protégés. Mais dans le cas de LimeWire, les signes semblent beaucoup plus faibles.
La RIAA reproche à LimeWire d’avoir encouragé le partage et même mis en place des mécanismes de sanction à l’encontre des « freeloaders », qui téléchargent sans partager. Mais le lobby du disque oublie que LimeWire permet de partager autre chose que des contenus piratés, et notamment de la musique libre – LimeWire gère d’ailleurs les licences Creative Commons sur les fichiers MP3. Inciter au partage, qui est à la base de la technologie P2P, ne semble pas répréhensible en soi mais plutôt naturel au vu des technologies en présence.
Le groupement des majors du disque reproche également à LimeWire de n’avoir pas efficacement filtré les chansons copyrightées. LimeWire l’a pourtant tenté, mais sa nature open-source rend toute tentative vaine. Code source disponible oblige, l’éditeur de LimeWire n’a jamais empêché le développement de FrostWire, une version alternative sans filtre de LimeWire. Même si l’action judiciaire entamée par la RIAA aboutissait à une condamnation, l’impact sur le P2P serait nul. LimeWire fermerait peut-être, mais le réseau Gnutella sur lequel il s’appuie continuerait à exister grâce à ces nombreux logiciels open-source compatibles.
Une plainte illégitime ?
Mais surtout doit se poser la question de la légitimité d’une telle action alors que LimeWire ne semble jamais avoir activement encouragé à violer des droits d’auteur. Le logiciel est utilisé massivement pour la distribution légale de contenus libres, mais la RIAA semble dire que parce que ses chansons sont illégalement partagées par des utilisateurs, le reste n’a aucune importance.
Le fait qu’elle juge qu’encourager activement au partage de fichiers est une faute en soi est particulièrement révélateur de cet état d’esprit. Le Peer-to-Peer a par nature toujours fonctionné grâce au partage des données, et critiquer cet aspect-là est s’en prendre à la technologie elle-même et non à son usage.
Derrière cette plainte, et beaucoup plus qu’avec Grokster dont l’illégitimité faisait peu de place au doute, c’est tout l’avenir juridique du P2P qui est en jeu aux Etats-Unis. EDonkey, qui n’arrive pas à négocier d’accord satisfaisant avec l’industrie culturelle, est lui aussi sur la sellette. Et un jugement à l’encontre de LimeWire pourrait avoir des répercussions internationales.
C’est pour imiter l’arrêt Grokster que la France a implanté dans la loi DADVSI l’amendement Vivendi, qui condamne l’édition d’un logiciel « manifestement destiné » au partage illicite de fichiers. Si les tribunaux américains vont dans le sens de la RIAA et condamnent LimeWire, les juges français pourraient être tentés d’appliquer les mêmes standards lors de l’interprétation de la loi DADVSI…
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