Qui peut croire une seule seconde après y avoir réfléchi une seule minute que la Corée du Nord est derrière le piratage des serveurs de Sony Pictures ? Comme le détaille Reflets, l'affirmation d'un rapport du FBI selon lequel la dictature communiste serait directement impliquée dans l'attaque subie par le studio de cinéma ne résiste pas à un examen sérieux des faits et des circonstances. S'il ne faut qu'un seul argument pour se convaincre que les Nord-coréens n'ont pas attaqué Sony pour le dissuader de sortir le film The Interview, il suffit de constater que la scène la plus contestée par le régime de Pyongyang a été piratée et mise en ligne.
Même en imaginant que la Corée du Nord serait à ce point déconnectée des réalités qu'elle en ignorerait l'effet Streisand qui accompagne désormais toute tentative de censure, il serait carrément idiot de sa part de pirater et diffuser elle-même ce qu'elle prétend faire disparaître.
C'est sans doute la conclusion à laquelle aurait dû lui-même aboutir Barack Obama lorsqu'il faisait remarquer vendredi lors d'une conférence de presse que "ça dit quelque chose d'intéressant sur la Corée du Nord qu'ils aient décidé de réaliser ce coup monté par un Etat, et de permettre une attaque contre un studio de cinéma à cause d'un film satirique". Si dépenser tant d'énergie et d'argent à un piratage qui n'aurait rien changé à la perception occidentale de la Corée du Nord est à ce point inimaginable, et ça l'est, c'est qu'il ne faut probablement pas l'imaginer et qu'il faut chercher une explication plus rationnelle, comme le veut la méthode bien connue du rasoir d'Ockham — d'autant que la Corée du Nord dément toute implication, et qu'elle n'a pas franchement de risque à prendre à assumer un piratage alors qu'elle subit déjà un embargo.
Mais qu'importe la vérité. La Corée du Nord est un ennemi fort utile à pointer du doigt.
Pour Sony Pictures, le pays communiste est l'excuse parfaite pour tenter de faire oublier ses propres responsabilités, immenses dans la mauvaise sécurisation de ses serveurs et ses pratiques de "sécurité" qui seraient risibles si elles n'étaient pas affligeantes.
Pour les Etats-Unis, il semble que le piratage de Sony Pictures et l'accusation sur la Corée du Nord seront un levier parfait pour mobiliser la population autour d'un ennemi commun qui ravive le souvenir de la Guerre Froide, et pour obtenir de nouvelles mesures de contrôle sur Internet, à un moment où les acteurs du Web expriment leur volonté de tout chiffrer, et où l'ICANN s'apprête à prendre son indépendance.
"ACTUELLEMENT C'EST UN PEU LE FAR WEST, IL FAUT DES RÈGLES"
"Nous ne pouvons pas avoir une société dans laquelle un dictateur quelque part peut commencer à imposer la censure ici aux Etats-Unis. Si quelqu'un peut intimider les gens qui sortent un film satirique, imaginez ce qu'ils feront dans le cas d'un documentaire qu'ils n'aiment pas, ou des reportages qu'ils n'aiment pas. Ou même pire, imaginez si des producteurs et des distributeurs et d'autres commencent à s'auto-censurer parce qu'ils ne veulent pas offenser les sentiments de quelqu'un dont les sentiments ne doivent pas être offensés. Ce n'est pas qui nous sommes. Ce n'est pas ça l'Amérique", a ainsi proclamé le président américain.
"Nous répondrons. Nous répondrons de façon proportionnée, et d'une manière, à un endroit et à un moment que nous choisirons", a-t-il ajouté.
Mais surtout, le piratage réalisé prétendument par la Corée du Nord "montre le besoin de travailler avec la communauté internationale pour établir des règles très claires sur comment Internet et le cyber (sic) fonctionnent", a demandé Barack Obama. "Actuellement c'est un peu le Far West, et une partie du problème c'est que vous avez des états faibles qui s'engagent dans ce type d'attaque, et vous avez des acteurs non-étatiques qui peuvent faire d'énormes dégâts… C'est en partie pour ça que le sujet de la cybersécurité est aussi urgent".
Le président américain veut que le Congrès adopte une loi qui obligera les entreprises privées à coopérer avec les autorités publiques pour traquer les pirates, ce qui supposera certainement d'abandonner au moins en partie le chiffrage complet des communications.
"Si nous ne pouvons pas mettre en place le type d'architecture qu'il faut pour éviter ces attaques, ça n'affectera pas seulement les films, mais toute l'économie de manière extraordinairement significative", a prévenu Barack Obama.
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