Nous sommes le 21 décembre 2005. Les débats parlementaires sur le projet de loi DADVSI commençaient et le ministre Renaud Donnedieu de Vabre y allait d’une petite leçon d’économie. « L’illusion de la gratuité conduit désormais une partie des consommateurs à considérer que toute offre payante est trop chère et oblige les industries culturelles à baisser leurs prix, pour limiter la baisse des ventes en volume, mais ce qui réduit leur chiffre d’affaires et donc les ressources pour investir dans de nouveaux talents. On entre alors dans un cercle vicieux, le manque de création risquant d’entraîner une désaffection du public. Le rôle du législateur est de créer les conditions économiques permettant au marché de déterminer un prix attractif pour le consommateur et suffisant pour le créateur« .
Ce prix, Universal vient de le fixer aux Etats-Unis : c’est la gratuité. La première maison de disques du monde, filiale du français Vivendi, a signé un accord remarqué avec la jeune pousse SpiralFrog pour proposer l’ensemble de son catalogue en téléchargement gratuit aux américains et aux canadiens. Les fichiers seront protégés par un DRM au format WMA, mais pourront être transférés sur deux baladeurs à la norme PlaysForSure de Microsoft. Pour financer l’opération, la start-up mise sur la publicité.
Sans entrer dans un débat de fond sur la valorisation de l’art musical par la publicité, il faut s’attarder sur le débat économique, qui pourrait à nouveau conduire à la licence globale. Lorsqu’elle a refusé la licence globale en France, l’industrie du disque a prétexté la dévalorisation de la musique par la gratuité. On voit aujourd’hui pourquoi cet argument faisait sourire. En réalité, l’industrie dominée par quatre acteurs (Universal, Warner, EMI et Sony-BMG) a souhaité conserver son oligopole sur la diffusion des œuvres. Une licence globale permettrait par nature à chacun de diffuser de la musique en toute légalité, alors que l’industrie a fait fortune par son contrôle des chaînes de distribution et de promotion (disquaires et médias). L’ennemie des maisons de disques n’est pas le piratage mais l’ouverture à la concurrence.
L’accord avec SpiralFrog permet à Universal d’entrer dans la logique économique de la gratuité, qui domine Internet depuis ses prémices et fait partie intégrante de la culture de ses habitants. Mais il permet surtout à Universal de proposer la gratuité sur une plate-forme unique, qu’elle contrôle à travers ses relations contractuelles et financières. Cette « licence globale privée », comme l’ont nommée certains, n’a rien d’une licence globale puisqu’elle limite l’entrée de nouveaux acteurs dans la distribution des œuvres, et bride leur circulation.
La publicité plus viable qu’une licence globale ?
Ce serait partie gagnée pour Universal si le modèle publicitaire se révèle viable. Mais rien n’est moins sûr.
Les clips, émissions et séries TV s’accomodent facilement de la publicité sur Internet. Le format visuel permet l’insertion des publicités sans rupture dans les habitudes de consommation. Ces trois formats ont toujours vécu grâce à (et pour) la publicité, et le public l’a parfaitement intégré. Tout comme la gratuité fait partie de la culture des internautes, la publicité fait partie de la culture des spectateurs, y compris sur les chaînes à péage. La vidéo légale exclusivement payante sur Internet n’est qu’une parenthèse ouverte au début des années 2000 et qui est déjà en train d’être refermée. Aux Etats-Unis AOL a permis le premier de regarder des shows télévisés sans payer, ce qui a ensuite ouvert la porte à Warner, Disney ou Fox. En France TF1 s’y est essayée cet été en diffusant gratuitement les épisodes de sa série Le Maître du Zodiaque. Tous les indicateurs semblent au vert pour, qu’au moins sur les programmes TV, la publicité remplace rapidement le paiement.
Mais le format publicitaire est-il aussi naturel pour la musique ? Il n’est certain ni que la publicité trouve sa rentabilité dans des chansons écoutées en fond sonore, ni surtout que le public les accepte plutôt que de leur préférer le P2P et des fichiers sans DRM.
En cas d’échec de SpiralFrog à trouver l’équilibre financier et à satisfaire les demandes d’Universal, c’est toute l’industrie du disque qui pourrait être contrainte de songer à nouveau à la licence globale.
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