En 1999, alors que le premier épisode de la prélogie de Star Wars s’apprête à drainer des millions de gens dans les salles de cinéma, George Lucas manifeste son souhait de numériser le plus de salles possibles. Le rythme est lent (à peine 1 % de salles dans le monde sont équipées), mais il devrait s’accélérer dans les prochaines années. Officiellement il s’agit d’offrir aux spectateurs la meilleure expérience visuelle possible, sans déterioriation de la pellicule, et permettre aux cinéastes de réaliser des économies sur la reproduction des copies. Officieusement, c’est une autre histoire…
« Aux Etats Unis producteurs et distributeurs sont prêts à explorer les potentialités qu’offre cette évolution technique, et même à l’accompagner ; les bénéfices qu’ils espèrent en tirer tiennent à la fois à la meilleure mise en valeur des œuvres » à grand spectacle » et aux économies à réaliser grâce à la réduction des frais de copies. Mais leur souci premier est surtout de garder la maîtrise de leurs œuvres« , note ainsi Daniel Goudineau dans son rapport publié mercredi par le CNC. La mise en œuvre du cinéma numérique dans les salles s’appuie en effet en grande partie sur le cahier des charges défini par la Digital Cinema Initiative (DCI), dont une partie importante est consacrée aux mesures de sécurité à mettre en place dans la numérisation, la distribution et la projection des œuvres. La norme DCI prévoit ainsi des mécanismes tout à fait similaires à ceux imposés aux consommateurs à travers les DRM.
Lors de sa post-production, le film est tout d’abord crypté avec une clé dite « primaire », afin d’en empêcher la lecture. Lorsqu’elle s’équipe en matériel de projection numérique, chaque salle reçoit une clé unique dite « publique », un « certificat ». Pour chaque film reçu par disque dur amovible ou par satellite, une clé spécifique baptisée KDM (Key Delivery Message) est générée à partir de la clé primaire du film et de clé publique de la salle, et envoyée séparémment par clé USB ou par ADSL. « La clé de lecture ainsi générée, associée au fichier du film reçu par l’exploitant, permet de jouer ce film sur le serveur et le projecteur de cette salle et garantit strictement qu’on ne peut pas, à partir du seul fichier du film, le jouer dans une autre salle« , résume M. Goudineau. De plus la KDM peut être accompagnée de date de validité pour empêcher la lecture du film après une période définie avec le distributeur. Enfin, des logs sont générés et envoyés aux distributeurs pour connaître tous les détails de l’exploitation d’une copie au sein d’une salle, et donc vérifier le respect des conditions négociées.
Le DRM anti-libéral, bientôt dans vos salles
« Certains estiment que les distributeurs des films qui, aujourd’hui, représentent des petits ou moyens tirages n’ont aucunement besoin de
faire appel à de quelconques dispositifs de sécurité, leur objectif premier étant que leurs films soient diffusés plutôt que protégés« , note Daniel Goudineau. Cependant « la sécurité sera une requête systématique pour les films américains, mais, probablement aussi, par contagion, pour une grande partie des autres films« , ajoute le rapporteur.
Derrière ces protections officiellement destinées à empêcher le piratage, ce sont de véritables usines de contrôle de la distribution qui sont émergents. Celui qui génère les clés primaires des films et contrôle les KDM des salles a un contrôle sur toute la chaîne. Des métiers qui n’avaient jusqu’à présent aucun rapport se concentrent ainsi dans des offres globales destinées à créer des réseaux de distribution numérique exclusive : post-production, distribution et installation des serveurs et projecteurs en salles. Il y a, note M. Goudineau à propos des premiers accords de distribution numérique, « la mise en place d’une logique d’intégration verticale : un fournisseur exclusif pour chaque catégorie de matériel , un prestataire mondial qui a le contrôle de tous les systèmes installés et la capacité de fournir tous les services en amont« .
« Le modèle économique retenu aujourd’hui vient accroître encore ce poids au point de pouvoir exercer une influence sur la programmation des salles« , juge-t-il en conclusion.
Et la question des DRM étant inévitablement liée à celle de l’interopérabilité, on ne sera pas non plus surpris de lire que « les expériences conduites jusqu’ici montrent que l’interopérabilité n’est pas toujours évidente« . Par exemple « Laura Fumagalli (Arcadia à Milan), qui a effectué sa première projection numérique en 2001, a acheté un projecteur 2K en 2004, mais a dû acheter plusieurs serveurs parce que certains films ne sont distribués que sur certains serveurs« , raconte le rapport. La normalisation DCI/AFNOR doit progressivement régler ces problèmes techniques, mais la concentration et la création de nouveaux réseaux induite par les DRM restera, elle, un danger permanent.
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