Si l'on accepte que les grandes plateformes sur Internet disposent de pouvoir de police privée, il est temps d'exiger d'elles le même niveau de transparence que celui exigé aux gouvernements du monde entier.

Revenons sur l'affaire Jean-Luc Lahaye, car elle est bien plus importante qu'elle n'en a l'air. Le chanteur a pu être poursuivi et condamné en France pour corruption de mineurs parce que Facebook surveille automatiquement l'activité de ses membres sur le réseau social, y compris leur activité privée, et qu'il s'autorise parfois à regarder le contenu des messages qu'ils échangent dans des discussions personnelles. Lorsque ses doutes se confirment à la lecture des correspondances privées, Facebook signale alors sa découverte aux autorités.

C'est un peu comme si la Poste réalisait de sa propre initiative des traitements statistiques sur les courriers envoyés et reçus par chacun, ouvrait discrètement le courrier pour le lire lorsqu'elle a un doute sur l'activité d'un usager de ses services, et appelait la police uniquement lorsqu'elle découvrait une activité manifestement illicite à ses yeux. 

On peut trouver ça bien et nécessaire pour la lutte contre les agressions sexuelles d'enfants, et notre avis sur la question n'est pas tranché. Combien de violations de la vie privée vaut la sauvegarde d'un enfant menacé par un prédateur ? La réponse actuellement se situe entre trois (celles de Jean-Luc Lahaye et de ses deux correspondantes) et 1,4 milliard (celles de l'ensemble des utilisateurs de Facebook). Peu importe que l'on soit pour la violation massive de la vie privée de l'ensemble des membres de Facebook ou pour la protection absolue du secret de toutes les correspondances privées. Le problème est que Facebook est le seul à savoir où se situe sa réponse, entre 3 personnes et 1,4 milliards.

LA TRANSPARENCE N'EST PAS QUE POUR LES AUTRES

Or Facebook, comme Google, Twitter, Microsoft et une quarantaine d'autres entreprises dans le monde, s'est engagé dans une politique de prétendue "transparence", à travers la publication de "rapports de transparence". Celui de Facebook se trouve ici, celui de Google se trouve là. Il existe même deux organisations qui réunissent des entreprises du numérique, la Global Network Initiative (GNI) et Telecommunications Industry Dialogue (TID), pour fixer des règles de protection des droits fondamentaux des utilisateurs à l'encontre des Etats ou des tiers qui seraient tentés de violer leur vie privée ou d'atteindre à leur liberté d'expression. Facebook est membre de la première.

Mais la transparence ne concerne donc que les demandes d'informations personnelles ou de retraits de contenus reçues de la part d'Etats ou d'ayants droits privés. Jamais, absolument jamais, les grandes entreprises du numérique qui ont bien davantage d'utilisateurs que les Etats n'ont de concitoyens, ne rendent de compte sur leur propre activité susceptible de violer les droits fondamentaux des utilisateurs.

Il est temps d'exiger cette transparence, et des procédures qui permettent de s'assurer de leur sincérité.

Que Facebook ouvre le courrier de Jean-Luc Lahaye pour vérifier qu'il s'agit bien d'un prédateur d'enfants, pourquoi pas. Mais pour un Jean-Luc Lahaye démasqué, combien d'utilisateurs ont vu leur vie privée violée par Facebook sans en avoir jamais connaissance ?

Il faut que Facebook publie le nombre des comptes d'utilisateurs dont il a examiné les correspondances privées, et le nombre qu'il a rapporté aux autorités. Et Google, Microsoft, Twitter et tous ceux qui utilisent les mêmes pratiques de détection des comportements illicites, qui se permettent de violer la vie privée d'utilisateurs pour vérifier si leur comportement est légal ou illégal, doivent eux aussi publier ces informations.

Ils doivent avoir, à l'égard des utilisateurs, le même niveau de transparence que celui qu'ils exigent ou imposent aux Etats. Cela vaut aussi pour le nombre des contenus qu'ils suppriment d'office en raison de violations de leurs conditions d'utilisation, du nombre de comptes fermés, ou des contenus qui leur sont signalés par les utilisateurs, qu'ils choisissent de rapporter aux autorités.

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