Faut-il élaborer un traité international pour fixer des limites aux intrusions dans la vie privée que se permettent les Etats à travers leurs programmes de surveillance, et à celles des entreprises qui collectent massivement des données sur Internet ? C'est l'avis du professeur de droit Joseph Cannataci, qui a été nommé premier rapporteur spécial sur la vie privée par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
Vilipendant les dérives de la société britannique dont il juge la surveillance omniprésente pire que celle imaginée par George Orwell dans 1984, Cannataci souhaite profiter de son mandat de 3 ans renouvelable pour faire avancer l'idée d'une "loi universelle" sur la protection de la vie privée, c'est-à-dire d'un traité international qui déterminerait les droits et les devoirs de chaque Etat. "Certaines personnes pourraient ne pas en vouloir. Mais vous savez, si on focalise sur le fait que certaines pays n'accepteront pas le jeu, alors, par exemple, l'accord sur les armes chimiques n'aurait jamais vu le jour", prévient-il.
Lucide, il reconnaît que son mandat de trois ans ne suffira pas à faire aboutir cette idée, et même que "c'est probablement impossible à atteindre dans les six ans si le mandat est renouvelé, si vous essayez de faire trop de choses". Mais il dit vouloir mettre l'ONU sur le chemin de la vision à long terme sur ce dossier.
Théoriquement le droit international est déjà équipé pour lutter contre les intrusions disproportionnées dans la vie privée. La Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) a une disposition contre les "immixtions arbitraires" dans la vie privée, et cet engagement a été traduit de façon plus engageante dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel adhèrent 168 pays. Les instruments régionaux, à commencer par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), obligent également les Etats à respecter et à protéger la vie privée des citoyens.
UN DROIT INTERNATIONAL INSUFFISANT
Mais ces textes en vigueur accordent une grande souplesse aux Etats et ne permettent pas d'éviter les dérives déjà régulièrement dénoncées par l'ONU. L'article 8 de la CEDH, par exemple, autorise toute ingérence dans la vie privée qui serait "nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". La Cour européenne a elle-même accordé aux pays une grande "marge nationale d'interprétation" dans l'application de ces conditions et c'est finalement, de façon peut-être inattendue, la Cour de justice de l'Union européenne qui a mis un holà l'an dernier à la course folle des Etats. En revanche, le Conseil constitutionnel français n'en a rien fait, préférant ne pas voir dans la Déclaration de 1789 les mêmes limites qui auraient fait obstacle à la promulgation de la loi sur le Renseignement.
Une convention internationale spécifique pourrait donc avoir pour avantage de fixer un cadre plus clair aux ingérences que les Etats peuvent pratiquer, de créer un comité de surveillance dédié, et de rappeler les pays à leurs devoirs en matière de protection des droits des citoyens face aux pouvoirs privés. Faute de lois suffisamment musclées et de volonté politique, les différentes CNIL européennes se sont montrées impuissantes à empêcher le développement des Facebook, Google, Twitter, et autres, dont le modèle économique repose pour une très grande part sur la collecte de données privées et la création de profils de plus en plus précis.
Mais le chemin est très long avant un tel traité international, et les résistances seront d'autant plus difficiles à briser que les Etats et les entreprises privées ont des intérêts convergents à ne pas protéger la vie privée.
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