L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a publié mercredi soir un avis remis au gouvernement le 7 juillet dernier, qui évalue la faisabilité technique d’une mesure détaillée de la répartition de la bande passante utilisée sur les réseaux français, dans le cadre d’une éventuelle taxation de la bande passante. L’idée, qui avait été proposée par Fleur Pellerin dès 2013 lorsqu’elle était en charge du numérique à Bercy, et qu’elle a pris dans ses valises vers le ministère de la Culture en la mettant au service des ayants droit, aurait consisté à créer une taxe sur les services en ligne qui utilisent le plus de bande passante en France, pour tenter d’atteindre fiscalement des services comme YouTube, Facebook ou Netflix.
Mais l’idée n’est clairement pas viable sur le plan technologique.
Sans le dire explicitement, mais en le sous-entendant très fortement, l’Arcep prévient le gouvernement qu’une telle taxation de la bande passante serait à la fois très difficile à mettre en oeuvre sans d’énormes imprécisions voire des aberrations dans le calcul de l’assiette, et facilement contournable par les acteurs privés qui pourraient échapper aux compteurs par diverses techniques.
En résumé, l’Arcep — qui s’appuie sur des consultations réalisées par réunions et par questionnaire auprès de quelques acteurs des télécoms — constate qu’il n’y a « pas de méthode univoque, infaillible et exhaustive permettant d’associer un paquet IP circulant sur internet à un fournisseur de service en ligne, ou respectivement, d’identifier l’ensemble des paquets IP associés à un fournisseur de service en ligne donné« .
Ce qui est principalement mesurable à peu de frais, c’est le niveau de trafic entre deux « Autonomous Systems » (AS), c’est-à-dire entre deux réseaux interconnectés. Mais si certains services en ligne disposent de leurs propres AS, qu’ils utilisent en tout ou partie pour acheminer leurs contenus vers les abonnés (c’est par exemple actuellement le cas de Netflix), ce n’est pas le cas de bien d’autres services en ligne. Et surtout, un même AS est le plus souvent utilisé par de multiples clients différents. Il faudrait donc éventuellement taxer le propriétaire de l’AS qui lui-même répercuterait la taxe sur ses clients à due proportion, mais l’on entrerait alors dans une usine à gaz invraisemblable, qui poserait par ailleurs des problèmes de transparence fiscale.
PAS QUESTION DE FAIRE DU DEEP PACKET INSPECTION (DPI)
Pour évaluer le niveau réel d’utilisation de la bande passante, il faudrait donc avoir recours à des méthodes beaucoup plus précises, mais aussi beaucoup plus intrusives, comme le Deep Packet Inspection (DPI), qui avait effectivement été envisagé pour taxer la collecte de données personnelles. Or c’est exclu pour l’Arcep qui y voit différents problèmes, notamment de coût, de dégradation des performances réseaux, et d’atteinte potentielle à la vie privée. De plus une part très importante du trafic est désormais chiffré, ce qui ne permet pas toujours d’identifier la nature et la destination des paquets.
Enfin, même à considérer que l’Etat veuille aller outre l’avis de l’Arcep et mettre en place une taxe de la bande passante avec un tel degré de précision, les méthodes de contournement seraient nombreuses. Il est par exemple possible d’échapper à toute mesure en modifiant l’architecture technique pour revenir aux racines de l’internet, et ré-utiliser (enfin) des réseaux P2P pour distribuer les contenus entre les internautes eux-mêmes, comme le fait déjà Windows 10 pour distribuer ses mises à jour, ou comme pourrait le faire Netflix. Tout ce qui est échanges directs entre internautes échapperait à toute possibilité de taxation.
Il est aussi possible d’installer ses serveurs de cache au coeur des réseaux, pour faire disparaître l’essentiel de la mesure de trafic entre AS, ou encore de migrer ces derniers hors de France pour échapper à la territorialité fiscale, ou d’avoir recours quand c’est possible au multicast.
En conclusion, seule une mesure imprécise et facilement contournable serait « raisonnable sur un plan technique et économique« , or la fiscalité ne peut pas être bâtie sur un tel sable mouvant.
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