L'ONU a préféré supprimer un rapport que plusieurs de ses organisations avait pourtant présenté avec fierté le mois dernier, qui appelait les entreprises privées à se doter de davantage de pouvoirs de censure pour lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes. Assumé sur le fond, le rapport était extrêmement mal sourcé sur la forme.

Le mois dernier, nous rapportions qu'une commission de l'ONU avait publié un rapport appelant les acteurs privés sur internet à agir plus fermement contre les "cyberviolences" faites aux femmes. Mais même si le rapport très alarmiste a été fièrement porté par l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), et présenté en présence de la directrice générale de l'Unesco Irina Bokova, de la directrice exécutive de l'ONU-Femmes Phumzile Mlambo-Ngcuka, et par l'administrative du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) Helen Clark, l'ONU ne cautionne pas son contenu et sa méthode. Un porte-parole a même présenté ses excuses.

Le rapport a ainsi été retiré du site officiel du groupe de travail spécialisé de la Commission des Nations Unies sur le Haut Débit, qui avait été créé en 2010 pour favoriser l'adoption d'Internet dans le monde. Curieusement, ses conclusions restent toutefois accessibles.

Beaucoup des données issues du rapport, que nous avions préféré reprendre au conditionnel, étaient effectivement non sourcées ou utilisaient des études contestables, pour affirmer que les femmes étaient particulièrement victimes de violences et de harcèlement sur internet — ce qui est sans doute vrai, mais peut-être pas dans de telles proportions. Comme le note Motherboard, l'une des études citées avait même conclu à l'existence d'un lien entre des jeux vidéo comme Pokémon et des tueries dans le monde réel.

UN RAPPORT PILOTÉ AVEC DES ENTREPRISES PRIVÉES

Le rapport affirmait ainsi, sans aucune étude réalisée par l'ONU elle-même et en se basant sur une source peu crédible, que 73 % des femmes auraient été victimes de violences en ligne, et que les femmes âgées de 18 à 24 ans seraient les plus exposées. Le tout visait à promouvoir une censure privée plus importante au bénéfice du développement d'internet dans le monde, puisque le raisonnement consistait à dire que les femmes n'allaient pas assez sur internet du fait des craintes qu'elles ont ou pourraient avoir d'y être harcelées et menacées.

Il demandait ainsi que les éditeurs de services en ligne se dotent de procédures de retraits de contenus plus efficaces, avec y compris "la possibilité de fermeture d'un compte en cas de comportement répréhensible". Or comme nous l'avions dit, se pose la difficile question de la qualification des comportements, entre une blague ou réflexion sexiste qui peut choquer mais reste légale, et des propos encourageant la maltraitance psychologique ou physique des femmes.

Faut-il y voir un lien de cause à effet, le rapport avait été réalisé par une sous-commission qui n'était pas composée que de représentants des Etats, mais aussi en grand nombre de représentants de l'industrie, qui poussent à l'autorégulation, donc à la censure privée. Le groupe de travail fait lui-même partie d'une "commission des Nations unies sur le haut débit" qui compte dans ses rangs des lobbys privés comme Microsoft, Huawei, Ericsson, Eutelsat, Facebook, Intel ou Cisco. Autant d'organisations qui ont un intérêt direct à promouvoir le développement d'internet dans le monde, et qui peuvent avoir un intérêt à défendre une certaine vision bien particulière du développement par internet (n'est-ce pas Facebook ?).

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