On pensait que la réaction viendrait des premiers acheteurs de l’iPod, ceux qui ont succombé aux charmes de Steve Jobs et de sa boutique de musique en ligne iTunes. On pensait que ces consommateurs des premières heures réaliseraient tôt ou tard qu’une chanson qu’ils achètent sur iTunes ne peut pas être lue sur un autre baladeur que l’iPod. On pensait, naïvement, que c’est en achetant un baladeur d’une autre marque que la réaction viendrait. On se disait, convaincus par nous-mêmes, qu’il n’était pas possible que l’iPod garde sa suprématie et qu’enfin le jour viendrait où le grand public réaliserait pourquoi il faut refuser d’acheter de la musique avec DRM.
Mais c’était sans compter sur le talent de lobbying de Microsoft. C’était sans compter sur l’aptitude de Microsoft à démontrer au monde entier pourquoi il faut fuire ses propres produits. C’était sans compter sur le Zune.
En mai 2004, Microsoft lance une nouvelle version de son DRM Windows Media, avec le nom de code Janus (dieu romain à une tête mais deux visages opposés, gardien des passages et des croisements, nous dit Wikipedia). Il s’agit entre autres d’assurer une portabilité vers les baladeurs des chansons louées sur les plate-formes de musique en ligne. Plus tard, la norme trouvera un nom plus marketing et très prometteur : PlaysForSure. Pour contrer Apple qui s’est enfermé dans le shéma iTunes+iPod en se gardant l’exclusivité des deux systèmes, Microsoft veut convaincre toutes les plate-formes concurrentes d’adopter son DRM PlaysForSure. Les fournisseurs de musique sont priés de vendre du WMA protégé à la norme PlaysForSure et les fabricants de baladeurs priés de gérer le format. Mais malgré les efforts des deux camps, la sauce ne prend pas. Apple garde 85 % du marché du baladeur, et iTunes reste de loin la plate-forme où se vend le plus de musique en ligne.
Microsoft incompatible avec Microsoft : la magie du Zune
Dépité, Microsoft tente alors une nouvelle carte. Il va imiter la stratégie d’Apple et proposer un baladeur et une plate-forme de musique en ligne étroitement liés dans un même écosystème. C’est ainsi que naissent le Zune et son Zune Marketplace. Toute la presse s’en fait l’écho et anticipe très largement depuis cet été la sortie du concurrent de l’iPod et d’iTunes. On le devine, les chansons vendues sur le Zune Marketplace ne seront lisibles que sur un baladeur Zune. Mais alors que toutes les attentions se portent sur les limitations absurdes apportées à la fonction phare de partage de chansons par Wi-Fi, c’est une autre limitation qui pourrait couler la stratégie de Microsoft. Pas seulement la nouvelle, mais aussi l’ancienne.
Car tous les consommateurs qui ont cru au marketing de « PlaysForSure » (joue la musique à coup sûr) viennent de découvrir la dure réalité des DRM. Les morceaux qu’ils ont acheté sur les plate-formes PlaysForSure à base de technologie Microsoft ne peuvent pas être lus sur le baladeur Zune créé et commercialisé par le même Microsoft. Le géant de Redmond a tellement voulu imiter la stratégie d’Apple qu’il a volontairement omis de rendre son baladeur MP3 compatible avec les plate-formes de ses clients. Ces dernières, déjà convaincues de l’inutilité des DRM, se rebellent enfin. On a vu en France la Fnac et VirginMega commencer à commercialiser des fichiers MP3 sans DRM. Et surtout les consommateurs eux-mêmes réalisent grâce à Microsoft les dangers du système qu’il a lui-même imposé. Le New York Times consacre cette semaine un article au problème des DRM, un article qui n’aurait trouvé que peu d’écho chez les consommateurs dans un shéma dominé par Apple d’un côté et par une multitude d’offres PlaysForSure de l’autre.
Ils se seront fait avoir une fois, mais sans doute pas deux. Ils savent que s’ils avaient piraté des chansons en MP3 plutôt que de les acheter avec DRM, ils n’auraient eu aucun problème pour les transférer sur le Zune. Demain, ils se pencheront éventuellement sur les plate-formes de plus en plus nombreuses qui proposent l’achat de chansons en MP3, sans DRM. Mais même ça n’est plus certain…
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