L’industrie du disque en France en avait fait un objectif pour 2006. Les grandes maisons de disques, au nom soit-disant des artistes interprètes, fait monter la pression pour réduire le champ du domaine public en allongeant les droits en Europe.

En principe, le droit d’auteur doit trouver l’équilibre entre deux préoccupations majeures de la société. Il doit tout d’abord encourager à la création, en assurant aux créateurs la possibilité de continuer à créer en tirant des revenus suffisants de leurs précédentes créations. Il doit ensuite favoriser l’accès du public aux œuvres créées par les autres membres de la société. Comme le brevet, le droit d’auteur est un contrat entre le public et le créateur, où chaque partie a ses devoirs, et ses obligations.

Parmi les devoirs des créateurs figure celui de laisser librement l’accès aux œuvres et leur exploitation après une période donnée. La durée du droit d’auteur, qui était de quelques années seulement après la création de l’œuvre lorsque ce « contrat » est apparu au XVIIIe siècle, n’a cessé de s’allonger. Il est aujourd’hui de 70 ans post-mortem, c’est-à-dire qu’il faut attendre 70 années après la mort d’un auteur pour voir ses œuvres enfin passer dans le domaine public. Mais il n’y a pas que l’auteur dans le droit d’auteur. Lorsque l’enregistrement a fait son apparition à la fin du XIXème siècle, les artistes-interprètes qui jouent les œuvres ou les chantent en vue d’être enregistrées sur un support ont eux-aussi exigé d’avoir des droits. Tout comme, bien sûr, les producteurs des phonogrammes (musique) et de vidéogrammes (cinéma). Pour ne pas les confondre avec le droit d’auteur, on parle alors de « droits voisins ».

Ces droits sont plus courts que ceux accordés aux auteurs. Ils sont en France de 50 ans après la première publication de l’œuvre. On considère que celui qui n’est pas à l’origine de l’œuvre, mais qui n’a fait que l’interpréter ou la fixer sur un support destiné au commerce dispose d’une fenêtre d’un demi-siècle pendant laquelle il peut tirer des subsides de cet effort. L’industrie du disque et du cinéma, qui repose essentiellement sur ces droits voisins, a beaucoup poussé pour que ses droits soient étendus au delà des 50 ans prévus dans le traité WPPT de l’OMPI. Ils ont obtenu gain de cause dans un certain nombre de pays : Etats-Unis (95 à 120 ans), Mexique (75 ans), Chili (70 ans), Brésil (70 ans), Pérou (70 ans), Turquie (70 ans), Inde (60 ans), Venezuela (60 ans)…

L’exception culturelle européenne

Mais pas en Europe. Le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique), en France, avait fait de cette question de l’allongement des droits l’une de ses priorités pour 2006. La difficulté des débats sur DADVSI l’a sans doute incitée à attendre avant de porter cette nouvelle estocade aux droits du public sur les œuvres. Dans son argumentaire public, le SNEP peine à trouver des motifs convaincants à cet allongement. Il met en exergue le nombre d’œuvres appelées à passer dans le domaine public dans les prochaines années (sur les vingt prochaines années, 47 000 enregistrements tomberont dans le domaine public et concerneront 2 589 artistes différents), et veut faire croire que l’exploitation des vieilleries sert à financer les nouveautés. Le bon vieux chantage aux nouveaux talents n’a pas évolué depuis le siècle dernier. Il note, par exemple, que Johnny Hallyday commencera à perdre ses droits en 2011, avec 16 œuvres qu’il a enregistrées et pour lesquelles il ne percevra plus de droits. Pas plus que la maison de disques qui les a produites et distribuées.

De façon assez comique, le SNEP (qui rappelons-le représente les maisons de disques et non les artistes) publie même une lettre ouverte d’artistes-interprètes suppliant l’Europe de faire un geste. La lettre a pour principal argumentaire la nécessité pour l’Europe de s’aligner sur la tendance mondiale à l’allongement. Et le SNEP publie cette lettre ouverte alors que les signatures des artistes-interprètes ne sont pas encore récoltées ! Ca en dit long sur la méthode…

EMI veut protéger ses Beatles

Outre-Manche, c’est le président de la major EMI qui dégaine. Dans un séminaire privé à Downing Street, Eric Nicoli s’est inquièté cette semaine des positions que pourraient prendre le gouvernement britannique. Celui-ci a commandé un rapport à Andrew Gowers, l’ancien directeur du Financial Times, et selon les rumeurs il ne se serait pas laissé convaincre par les arguments des maisons de disques. « Les vues de ceux qui s’opposent au concept de la protection du droit d’auteur semblent davantage résonner dans le Gouvernement que celles de ceux qui créent les œuvres« , s’offusque M. Nicoli. Depuis quand les maisons de disques ne passent plus avant le public dans les priorités gouvernementales ?

Sans doute depuis qu’internet a fait prendre conscience à beaucoup que le contrat que nous évoquions au début de cet article est aujourd’hui totalement déséquilibré. Et il est pourtant sans doute du meilleur intérêt des maisons de diques et de la culture que les droits voisins ne soient pas allongés.

Les maisons de disques se reposent sur les droits voisins pour sortir un nouveau remix des œuvres des Beatles et en matraquer la promotion, plutôt que pour promouvoir les nouvelles œuvres de leurs talents vivants, tels Paul McCartney. L’allongement du droit voisin c’est l’allongement du droit à ne rien faire de neuf. Et au nom de quoi l’industrie culturelle serait-elle la seule à pouvoir vivre sans innover ? Si les brevets sont limités à une durée de 20 ans, c’est bien pour assurer une innovation continue et pour permettre au public de profiter librement des innovations précédentes. La meilleur chose qui puisse arriver à l’industrie du disque serait de ne plus pouvoir se reposer sur des cadavres, et d’être contrainte à avancer.

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