Propos liminaire : La semaine dernière, Ratiatum révélait un courrier envoyé à un internaute par Elizabeth Martin, avocat au Barreau de Paris. Très menaçant, le courrier encourage très fortement l’internaute à remplir le formulaire joint et à payer 400 euros (RIB fourni en annexe) pour éviter tout procès. Le fait de télécharger un jeu vidéo sans autorisation et de le mettre à disposition sur un réseau P2P est bien entendu pénalement répréhensible, et ne saurait être encouragé par Ratiatum. Mais la procédure employée par le cabinet d’avocat mandaté par l’éditeur Techland est très critiquable, et contraire aux règles de déontologie rappelées spontanément par un avocat vendredi dernier. Si l’on ne peut excuser ou justifier le piratage, il nous semble tout aussi important que soit respecté en France les règles d’un Etat de Droit où la Justice reste supérieure à l’intimidation. C’est aussi le rôle d’un site de presse que de le rappeler, et notre rôle de citoyen que de le défendre. L’affaire est d’autant plus importante que Free a révélé sous ordonnance judiciaire sans doute plusieurs centaines voire milliers de noms d’abonnés, utilisés à ces fins d’intimidation.
Combien d’internautes ont reçu la lettre envoyée par le cabinet Elizabeth Martin au nom de la société Techland, qui leur suggère fortement de payer 400 euros pour éviter un procès beaucoup plus coûteux ?
L’avocate contactée par Ratiatum a refusé de nous indiquer le nombre de courriers envoyés et d’adresses IP révélées. Toutefois le nombre semble élevé. Depuis le jeudi 29 mars où nous avons révélé l’affaire, et alors que la couverture médiatique est encore extrêmement faible (seuls PC Inpact et NoFrag en ont parlé au moment où nous rédigeons ces lignes), déjà 22 personnes se sont inscrites spontanément sur Ratiatum pour nous indiquer qu’ils avaient reçu la même lettre. Une dizaine d’internautes supplémentaires nous ont également contacté directement par e-mail. Un message qui semble circuler en chaînes sur les boîtes e-mails parle de 8000 courriers envoyés par Elizabeth Martin, mais nous ne savons pas d’où ce chiffre sort. Il peut être totalement farfelu, ou non. S’il est exact, ce seraient 3,2 millions d’euros qui seraient réclamés en tout.
MISE A JOUR (4 avril 2007) : 500 actions similaires ont été portées en Grande-Bretagne pour un autre jeu vidéo. D’autres actions sont attendues potentiellement en Allemagne, à Dubai, en Israël, en Italie, en Pologne, en Suisse, aux Etats-Unis, en Australie, en Espagne et en Afrique du Sud (voir notre article du 4 avril).
MISE A JOUR (8 avril 2007) : Très exactement 5.079 adresses IP relevées par la société suisse Logistep ont fait l’objet d’une demande en identification auprès du tribunal de grande instance de Paris (voir notre article du 8 avril)
Quels sont les internautes concernés par le courrier de Martin/Techland ?
L’ensemble des internautes qui nous ont contactés sont réputés avoir téléchargé le jeu Call of Juarez développpé par le polonais Techland et édité par Focus Interactive. Il semble que tous ont utilisé eMule, mais trois internautes nous ont cependant affirmé avoir seulement téléchargé la démo jouable du jeu, sur le site d’un confrère tout à fait légitime, et non une version piratée du jeu vidéo. Les relevés d’adresses IP ont tous été réalisés courant septembre 2006.
Pour le moment, seuls les abonnés du fournisseur d’accès à Internet Free sont concernés par le courrier. Il est impossible d’en déduire que seul Free a accepté de révéler l’identité de ses abonnés. L’ordonnance du 22 janvier 2007 citée dans son courrier par Elizabeth Martin était en effet adressée à Iliad (maison mère de Free), mais rien ne permet d’affirmer qu’aucune autre ordonnance n’a été demandée à l’encontre de fournisseurs d’accès concurrents. Il est tout à fait possible que de nouvelles vagues de courriers arrivent dans les prochains jours et concernent d’autres FAI.
MISE A JOUR (8 avril 2007) : France Télécom, Free, Neuf Télécom, Cegetel, Tele 2, Club internet, et Tiscali ont fait l’objet d’une demande d’identification (voir notre article du 8 avril).
Le relevé d’adresse IP qui a permis l’identification était-il licite ?
En l’absence d’éléments concrets, il est impossible d’affirmer ni que le relevé d’adresse IP était licite, ni qu’il était illicite. L’article 9 de la loi informatique et libertés impose une autorisation préalable de la CNIL pour tout relevé d’infraction, et prévoit notamment que l’autorisation puisse être accordée aux personnes morales qui défendent des industries de droit d’auteur.
Contacté par Ratiatum pour demander si le nécessaire avait bien été fait contre l’ordonnance pour vérifier la licéité du relevé d’adresse IP, Free a refusé d’émettre un commentaire.
Contactée par un membre qui a reçu la lettre, la CNIL trouverait le procédé « douteux et inhabituel », et demande communication du dossier pour procéder aux vérifications d’usage.
MISE A JOUR (3 avril 2007) : Selon Techland, le relevé d’IP a été effectué par une société anti-piratage Suisse, Logistep AG, laquelle semble avoir procédé au relevé avant tout contact commercial avec Techland. La légalité au regard de la loi informatique et libertés semble donc d’autant plus douteuse, puisqu’il paraît très peu probable que la CNIL ait autorisé sur le territoire français un relevé d’infraction par une société étrangère.
Le fait que le courrier n’ait pas été envoyé avec accusé de réception permet-il d’ignorer son contenu en toute tranquilité ?
Le courrier demande une réponse dans les 14 jours à compter de la date d’envoi, mais la lettre n’a pas été envoyée avec demande d’avis de réception. Pour autant, celle-ci n’est pas obligatoire s’agissant d’une tentative préalable de conciliation « amiable ». Rien n’empêche de débuter une procédure pénale par une assignation à comparaître, sans mise en demeure. Même s’il s’agit d’une anomalie au regard des pratiques habituelles, il ne s’agit pas pour l’avocate d’une faute procédurale derrière laquelle l’internaute accusé pourrait se réfugier.
Quelle est la force des preuves réunies ?
Contrairement à ce qu’indique la lettre de l’avocate, les preuves ne sont pas « irrefragables » (dans le jargon juridique, on parle de présomption irrefragable pour indiquer qu’une preuve ne peut pas être renversée). Outre les doutes sur la légalité du relevé au regard de la loi informatique et libertés, se pose la question de la personnalisation de la preuve et de la condamnation. Comment prouver que la personne qui a effectué le téléchargement à partir d’une adresse IP est bien celle qui est destinataire de la lettre ?
La responsabilité de l’abonné, prévue par la loi DADVSI dans le dispositif de « réponse graduée », a été censurée par le Conseil constitutionnel.
De plus, le fait que plusieurs internautes affirment qu’ils ont uniquement téléchargé la démo du jeu, et non le jeu complet, semble faire peser des doutes importants sur la qualité du relevé.
Comment réagir si l’on reçoit une telle lettre ? Faut-il payer ?
Plusieurs juristes spécialisés dans le contentieux et le recouvrement ont indiqué sur notre forum qu’il serait très coûteux et pénible à Martin/Techland d’entamer des procédures judiciaires pour faire condamner le téléchargement d’un seul jeu vidéo. Il faudrait débuter une procédure par internaute et subir pour chaque un examen approfondi des preuves et des arguments de la défense, avec un résultat aléatoire et un préjudice qui de toute façon restera très faible. Les avocats contactés conseillent tous de ne pas payer. Néanmoins, la procédure par principe et pour l’exemple n’est pas à exclure totalement.
Notez que le formulaire d’engagement à signer ne porte pas en contrepartie de renonciation explicite à intenter une action judiciaire. Celle-ci reste ouverte malgré le paiement, même si les probabilités que cela arrive sont extrêmement faibles.
La première chose à faire, si vous recevez un tel courrier, est de demander à votre assureur et/ou à votre banque si vous bénéficiez d’une aide juridique gratuite avec votre contrat. C’est souvent le cas. Dans ce cas, à moins que vous souhaitiez directement contacter un avocat de votre choix, profitez de ce secours judidique pour bénéficier d’une aide juridique. Demandez ensuite copie de l’ordonnance du 22 janvier 2007 au cabinet Elizabeth Martin ainsi qu’à votre fournisseur d’accès.
Vous trouverez sur Ratiatum un modèle de lettre à destination de Free, ainsi qu’un modèle à destination de l’UFC Que Choisir, réalisés par nos membres.
MISE A JOUR (3 avril 2007) :
« Il ne faut surtout pas répondre à la lettre, et faire le mort », conseille un avocat spécialisé sur Paris, qui ajoute qu’il faut « transmettre une plainte au Barreau de Paris » avec copie de la lettre reçue (voir notre article du 3 avril).
Tenez-nous au courant de l’évolution de votre affaire sur le topic dédié sur le forum de Ratiatum, où beaucoup des personnes ainsi approchées s’informent et se conseillent mutuellement.
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