Lors d’un colloque organisé par NPA Conseil et La Tribune la semaine dernière, Marie-Christine Levet, la PDG de Club Internet et ancienne présidente de l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA) a martelé son opposition à la licence globale. Elle lui préfère les paiements à l’acte pour les contenus culturels. La licence globale n’est pourtant pas seulement un choix économique, loin s’en faut.

Il ne se trouve plus grand monde pour défendre l’idée d’une licence globale. Même Patrick Bloche, le député socialiste qui avait défendu à l’Assemblée ce projet avec son complice Christian Paul, ne veut plus en entendre parler. Venu porter la parole de Ségolène Royal au colloque de NPA Conseil sur les stratégies des médias à l’heure de la convergence, Bloche a invité chacun à « ne pas resservir le plat froid de la licence globale« . Si l’idée de taxer les FAI (et donc les abonnés) reste à l’ordre du jour du programme socialiste, l’idée d’autoriser les mises à disposition par les internautes n’est plus exprimée avec autant de vigueur qu’il y a un an.

Pourtant, alors que plus personne n’ose reparler de cette licence globale qui avait soulevé la colère de toute l’industrie culturelle (artistes-interprètes exceptés), les fournisseurs d’accès semblent toujours craindre au plus haut point qu’elle revienne sur le devant de la scène. Preuve sans doute que le climat est plus fragile et tendu qu’on ne le croit, Marie-Christine Levet a martelé à trois reprises lors du colloque du jeudi 5 avril qu’il fallait refuser toute « licence légale ». Au point d’en faire son voeu aux candidats à l’élection présidentielle. L’ancienne présidente de l’Association des Fournisseurs d’Accès a indiqué devant un parterre de professionnels de l’audiovisuel que « nous avons tous un intérêt commun au développement de contenus à valeur ajoutée« . La meilleure réponse au piratage, a-t-elle rappelé, c’est « le développement d’offres légales, riches et de qualité« . « Il faut développer le payant« , a estimé la directrice de Club-Internet.

Bien sûr, elle défend l’idée que les box des FAI deviennent les points de distribution principaux des œuvres sur Internet. Toutes les offres principales de VOD s’y sont déjà installées, et les offres musicales ne devraient plus tarder. Pour les FAI, qui font payer seulement quelques dizaines d’euros par mois pour un abonnement avec téléphonie illimité, télévision sur IP et bande passante importante, seuls ces services complémentaires peuvent assurer une rentabilité à long terme. La licence globale, si elle voyait le jour, heurterait de plein fouet cette logique puisqu’elle anéantirait la rareté de l’offre sur laquelle ces desseins se basent.

Un choix politique d’accès public à la culture numérique

Pour autant, on ne peut pas résumer la licence globale à un simple modèle économique. S’il en est un, il s’agit surtout d’un choix hautement politique. D’un véritable choix de société clivant. Faire le choix de la VOD payante et des services de musique fermés sur abonnement payant, c’est faire le choix d’exclure de la vie culturelle tous ceux qui n’ont pas les moyens financiers de payer ces services à valeur ajoutée. Si, comme le préssentent tous les spécialistes et observateurs, la vidéo à la demande est appelée à remplacer les grilles de programmes TV, il va s’installer une distorsion entre ceux qui profitent des richesses offertes par la VOD et ceux qui se contenteront toujours des signaux hertziens et de la TNT, plus avilissants car nécessairement « de masse ». La fracture numérique, comme on l’appelle désormais, est une véritable fracture sociale. La fracture sera plus profonde encore entre ceux qui ont accès à la VOD payante et ceux qui n’y ont a pas accès, qu’entre ceux qui allaient au cinéma ou étaient abonnés aux bouquets câble/satellite, et ceux qui ne pouvaient pas.

La licence globale est un véritable choix de société, un choix hautement politique parce qu’elle propose de mutualiser les coûts de l’accès à la culture entre tous ceux qui en bénéficient. Dans une société qui parle sans hésitation d’industrie culturelle, l’idée doit sembler marxiste. Elle ne l’est pas plus en réalité que celle de mutualiser les coûts des écoles et des routes, même pour ceux qui n’ont pas (et n’auront pas) d’enfants et ne conduisent pas. On ne peut écarter la licence globale d’un revers de la main sous prétexte que le modèle économique de la VOD commence à fonctionner. Le débat est bien plus complexe que cela.

Faut-il pousser la logique jusqu’à faire de la fourniture d’accès à internet un véritable service public ? Le débat doit être ouvert tant les FAI ont un rôle stratégique clé dans les communications d’aujourd’hui et de demain. Faut-il que soit créé un véritable service public gratuit de la VOD, comme il existe un service audiovisuel public financé par la redevance ? Là aussi, le débat doit être ouvert.

Rejeter la licence globale comme un « plat froid », c’est oublier les valeurs importantes qu’elle portait en elle. Au moment des élections présidentielles, ce clivage aurait dû être davantage exprimé.

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