L’affaire de Rodez prend fin en eau de boudin. Ou « en queue de poisson », comme l’écrit Lionel Thoumyre sur le toujours excellent et très informé Juriscom.net. Les faits sont pourtant d’une grande banalité. En février 2003, lors d’une perquisition, les gendarmes découvrent chez un jeune internaute 488 films copiés sur CD-Rom. Le parquet décide d’instruire et de poursuivre Aurélien D. pour contrefaçon, avec l’appui des industriels du cinéma qui se portent partie civile (dont la Fédération nationale des distributeurs de films, le Syndicat de l’édition vidéo, Disney, Columbia et Dreamworks). Surprise, le 13 octobre 2004, l’internaute est relaxé par le tribunal de Rodez qui juge que la copie des films est couverte par l’exception de copie privée, et qu’il n’est pas prouvé que la copie n’était pas réservée à l’usage privé d’Aurélien D. Un an plus tard, le 10 mars 2005, la cour d’appel de Montpellier confirme le jugement de premier instance, et relaxe Aurélien D. Mais le 30 mai 2006, la cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.
Dans son arrêt, la cour de cassation ne dit pas que la copie des DVD est illicite, mais elle reproche à la cour d’appel de Montpellier d’avoir omis de répondre à la question soulevé par les parties civiles : peut-on oui ou non prétendre se protéger derrière l’exception de copie privée si la source de ces copies n’est pas elle-même licite ?
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui jugeait l’affaire en renvoi, devait donc répondre à la question à l’invitation de la cour de cassation. Mais elle a boté en touche en soulevant de nouveaux éléments au fond, dans son jugement du 5 septembre 2007. La cour d’appel a en effet noté que de l’aveu même d’Aurélien D., le prévenu avait prêté ses CD-Roms à des amis et mis à disposition au moins un tiers des films sur les réseaux P2P. Or la cour note qu’en prêtant ses films à des amis, Aurélien « n’a aucun contrôle sur l’utilisation et la diffusion qui en seront faites par ses amis« , et donc « s’est situé manifestement en dehors du cercle de famille et de l’usage privé du copiste prévu par la loi« . « Il en va de même pour l’œuvre copiée, puis mise à disposition d’un large public par le biais d’un logiciel de type ‘peer to peer’« , note la cour d’appel, qui s’intéresse donc non pas à la source des copies mais à leur destination pour juger que ces dernières ne sont pas des copies privées au sens de la loi. Elle a condamné Aurélien D. à 15.000 euros d’amende dont 12.000 avec sursis.
Malgré l’appel du pied de la cour de cassation, on ne sait donc toujours pas s’il est ou non légal de réaliser une copie privée d’un DVD sans avoir l’intention de mettre cette copie à destination d’autres copistes.
Dans une autre affaire, appelée « Mulholland Drive« , la cour de cassation a également cassé l’arrêt clément de la cour d’appel, et demandé à la cour de renvoi de dire si la copie d’un DVD respecte ou non le test en trois étapes imposé par la législation internationale. Celui-ci prévoit qu’aucune copie ne peut être légale si elle cause « un préjudice injustifié aux intérêts légitimes » des ayant droits. Mais à ce jour, aucune décision ferme et précise ne permet de dire quelle est la bonne réponse.
Or le flou profite à toutes les parties, sauf au public. Il permet au gouvernement de prétendre que la loi garantit toujours la copie privée, même lorsque la jurisprudence est aussi fragile, et il permet surtout aux industriels de continuer à exiger des taxes sur la copie privée même lorsque la loi, dans les faits, semble interdire toute copie.
Il faudra tout de même qu’un jour, le doute cesse pour de bon, et que les consommateurs sachent ce qu’ils ont ou non le droit de faire, et ce pour quoi ils payent la taxe sur la copie privée.
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