C’est un long texte sur l’industrie du disque qui fait le tour de la blogosphère anglosaxonne. Un « must-read » si vous lisez couramment l’anglais. Le billet de « Bob » sur le blog Demonbaby est la réaction énervée d’un employé de maisons de disques après la fermeture fortemment médiatisée de la communauté Oink.cd, « le modèle de distribution de musique le plus complet et le plus efficace que le monde ait jamais connu ». Bob y décrit avec passion ce qu’était réellement Oink, loin des clichés et de la propagande qu’a souhaité proféré la Fédération Internationale de l’Industrie du Disque. Extraits, en français dans le texte :

« Oink était un site réservé aux membres uniquement. Pour devenir membre vous deviez être invité par un membre. Les membres avaient accès à une base de données musicale sans précédent dirigée par la communauté. N’importe quel album auquel vous pouviez penser était à portée de clic. Les standards de qualité extrêmement élevés de Oink assuraient que tout sur le site était de qualité parfaite – des MP3 en 192kbps étaient leur grand minimum, et ils poussaient l’adoption de MP3 de bien meilleure qualité et des téléchargements des FLAC sans perdition. Ils vérifiaient dans les logs que la musique avait bien été rippée des CD sans aucun erreur. Les transcodages – des fichies encodés de fichiers déjà encodés, qui déteriorent la qualité, étaient formellement interdits. Vous aviez toujours la garantie d’avoir un fichier de meilleure qualité que celle d’iTunes ou de n’importe quelle boutique légale de MP3. Le ratio strict de téléchargement/partage sur Oink assurait que chaque album dans leur vaste base de données était toujours bien partagé, ce qui permettait des téléchargements plus rapides que n’importe où ailleurs sur Internet. Un album de 100 Mo pouvait être téléchargé en quelques secondes même sur une connexion moyenne. Oink était connu pour obtenir des albums en pre-release avant n’importe qui d’autres sur Internet, parfois des mois avant leur sortie officielle ; mais ils avaient aussi un catalogue étendu de musique qui remontait à des décennies, alimenté par des amateurs de musique qui retiraient de la fierté dans le fait d’uploader des perles rares de leur collection que d’autres utilisateurs demandaient. S’il y avait un album que vous ne pouviez pas trouver sur Oink, vous aviez simplement à en faire la demande, et attendre que quelqu’un qui l’avait accède à votre demande. Même si l’album demandé était extrêmement rare, le vaste réseau de centaines de milliers d’amateurs de musique sur Oink désireux de contribuer au site faisait en général en sorte que vous n’aviez pas besoin d’attendre bien longtemps ».

« En ce sens, Oink n’était pas seulement un paradis absolu pour les fans de musique, c’était sans aucun doute le modèle de distribution de musique le plus complet et le plus efficace que le monde ait jamais connu. Je dis ça avec certitude et sans exagération. C’était comme le plus grand magasin de musique du monde, dont le catalogue largement supérieur et la distribution était entièrement stockés, fournis, organisés et étendus sur l’ensemble de ses clients. Si l’industrie musicale avait trouvé un moyen de capitaliser sur le pouvoir, la dévotion et l’innovation de ses propre fans de la façon dont Oink l’a fait, elle serait en train de prospérer en ce moment plutôt que de s’assécher. Si les lois sur la propriété intellectuelle n’avaient pas rendu Oink illicite, le créateur du site serait le nouveau Steve Jobs aujourd’hui. Il aurait révolutionné la distribution de la musique. A la place, c’est un criminel, simplement parce qu’il a trouvé la meilleure façon d’accéder aux demandes croissantes des consommateurs. J’aurais volontiers payer un abonnement mensuel pour un service légal aussi bon que celui de Oink ; mais aucun n’existait, parce que l’industrie musicale n’a jamais été capable de mettre de côté sa propre cupidité et sa propre connerie d’entreprise de côté pour rendre cela possible. »

« Voici une parenthèse intéressante : la RIAA adore se plaindre du fait que les pirates de musique diffusent des albums sur Internet avant-même leur sortie dans les bacs, dépeignant ainsi de vilains pirates morts ensemble pour attaquer leur ennemie, l’industrie du disque. Mais vous savez d’où viennent les fuites ? De la putain de source, bien sûr : les labels ! La plupart des groupes savent qu’une fois que leur album achevé est envoyé au label, le risque de le voir apparaître en ligne commence, parce que les labels sont remplis d’employés sous-payés qui se trouvent être des fans de musique qui ne peuvent pas attendre de partager le nouvel album du groupe avec leurs amis. Si l’album parvient à ne pas fuiter directement du label, il est certain qu’il va être fuité une fois qu’il aura franchi les portes de l’usine. Quelqu’un a l’usine de duplication est toujours content de partir discrètement avec une copie, et peu de temps après, elle apparaît en ligne. Pourquoi ? Parce que les gens adorent la musique, et ils ne peuvent même pas attendre d’entendre le nouvel album de leur groupe favori ! Ca n’est pas une question de profit, et ça n’est pas de la malhonnêteté. Donc l’industrie du disque, peut-être que si vous protégiez un peu mieux vos actifs, cette merde ne fuirait pas. N’accusez pas les fans qui se précipitent sur le contenu fuité en ligne, accusez d’abord les gens qui sont en premier lieu responsables de ces fuites dans les usines de fabrication ! Mais à considérer que c’est un trou trop gros à boucher, ça nous conduit à une question : « pourquoi est-ce que les labels ne s’adaptent pas au changement de nature de la distribution en vendant les nouveaux albums en ligne aussitôt qu’ils sont terminés, avant-même qu’ils aient une chance d’être fuités, et ensuite sortir l’album sur CD deux mois plus tard ? ». Bien, tout d’abord, les maisons de disques sont obsédées par les classements des ventes, ils sont obsédés par le fait de déterminer la valeur marchande de leur produit à partir des résulats de vente de la première semaine. Vendre l’album en ligne avant le lancement de la grande distribution, avant qu’ils aient eu des mois pour marketer le produit proprement pour assurer son succès, risquerait de chambouler ces chiffres (même si ces chiffres de toute façon ne veulent plus rien dire du tout). De plus, vendre un album en ligne avant qu’il n’arrive dans les magasins rend les grandes chaînes de distribution (qui souffrent aussi de tout cela) en colère, et les grandes chaînes de distribution ont beaucoup plus de pouvoir qu’elles ne le devraient. Par exemple, si une maison de disques sort un album en ligne mais que Wal-Mart n’a pas le CD dans ses rayons avant encore deux mois (parce qu’il faut le fabriquer), Wal-Mart se met en colère. Qui se fiche de savoir que Wal-Mart est en colère, me demanderez-vous ? Et bien, les maisons de disques s’en soucient, parce que Wal-Mart est, à la fois mystérieusement et tragiquement, le plus grand revendeur de musique au monde. Ca veut dire qu’ils ont du pouvoir et qu’ils peuvent dire « si vous vendez l’album de Britney Spears en ligne avant que nous ne puissions le vendre dans nos magasins, nous perdrons de l’argent. Donc si vous faites ça, nous ne mettrons pas son album du tout dans nos rayons, et alors c’est vous qui allez perdre BEAUCOUP d’argent ». Ce genre de connerie rapace arrive tous les jours dans l’industrie du disque, et le résultat implacable c’est un service moins bon pour les consommateurs et pour les amateurs de musique ».

Pour Bob, Oink permettait aux artistes eux-mêmes de se débarasser de la menace de Wal-Mart, et de profiter du formidable coup de pouce marketing que permettait la communauté. Car même si lui-même n’achetait pas forcémment tous les albums qu’il avait aimé et découvert sur Oink, rien que le fait de pouvoir en parler autour de lui et d’aller aux concerts générait des ventes et des revenus pour les groupes. La plupart des musiciens en étaient conscients. Il rappelle que contrairement à ce que l’IFPI a voulu faire croire, Oink était entièrement gratuit, sans publicité, et que seuls des dons volontaires permettaient de faire vivre le site en finançant les infrastructures. Si l’IFPI s’est battue contre, c’est uniquement parce qu’il permettait aux fans de remplacer les labels dans des rôles intermédiaires clés qui étaient encore indispensables pour les artistes, et qui ont permis aux maisons de disques pendant des décennies de faire des signer des contrats totalement déséquilibrés aux artistes. L’IFPI veut garder ce contrôle et se sert du droit d’auteur comme d’une arme.

Dégoûté par cette goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà très plein, Bob considère maintenant que les majors sont finies, qu’elles vont « brûler sur le sol et [que] nous allons tous danser autour du feu ». « Et c’est votre propre faute », dit-il aux majors. Après avoir pensé des années que la musique devait rester payante, parce qu’il a vu de l’intérieur qu’elle nécessitait de gros financements, il souhaite maintenant que la musique enregistrée soit réellement gratuite de façon à assécher tous les intermédiaires qui ont gagné énormément d’argent grâce à des œuvres qu’ils n’avaient pas créées. « Peut-être que retirer l’argent de la musique est la seule façon de remettre de l’argent dans la musique », écrit-il.

Dans un message déjà très relayé, il demande aux internautes de boycotter totalement tous les albums produits et distribués par des majors (en se servant par exemple du site RIAA Radar), et de soutenir les artistes à travers tous leurs revenus parallèles merchandising, tournées, …) et de simples soutiens amicaux. « Il est temps de montrer aux artistes qu’il n’y a pas de limite à ce qu’une communauté de fans en ligne peuvent accomplir, et tout ce qu’ils demanderont en retour c’est davantage de musique. Et il est aussi temps de montrer aux labels qu’ils ont manqué une chance énorme en ne saisissant pas les opportunités quand il était encore temps ».

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